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pour s’en vanter si hautement ; et qu’il n’est pas vraisemblable que cet orgueil de Cassiope pour elle-même eût attendu si tard à éclater, vu que c’est dans la jeunesse que la beauté étant la plus parfaite et le jugement moins formé, donnent plus de lieu à des vanités de cette nature, et non pas alors que cette même beauté commence d’être sur le retour et que l’âge mûri l’esprit de la personne qui s’en serait enorgueillie en un autre temps.

Ensuite, j’ai supposé que l’oracle d’Ammon n’avait pas condamné précisément Andromède à être dévorée par le monstre, mais qu’il avait ordonné seulement qu’on lui exposât tous les mois une fille, qu’on tirât au sort pour voir celle qui lui devait être livrée, et que cet ordre ayant déjà été exécuté cinq fois, on était au jour qu’il le fallait suivre pour la sixième.

J’ai introduit Persée comme un chevalier errant qui s’est arrêté depuis un mois dans la cour de Céphée, et non pas comme se rencontrant par hasard dans le temps qu’Andromède est attachée au rocher. Je lui ai donné de l’amour pour elle, qu’il n’ose découvrir, parce qu’il l’avait promise à Phinée, mais qu’il nourrit toutefois d’un peu d’espoir, parce qu’il voir son mariage différé jusqu’à la fin des malheurs publics. Je l’ai fait plus généreux qu’il n’est dans Ovide, où il n’entreprend la délivrance de cette princesse qu’après que ses parents l’ont assurée qu’elle l’épouserait sitôt qu’il l’aurait délivrée. J’ai changé aussi la qualité de Phinée, que j’ai fait seulement neveu du roi, dont Ovide le nomme frère ; le mariage de deux cousins me semblant plus supportable, dans nos façons de vivre, que celui de l’oncle et de la nièce, qui eût pu sembler un peu plus étrange à mes auditeurs.

Les peintres, qui cherchent à faire paraître leur art dans les nudités, ne manquent jamais à nous représenter Andromède nue au pied du rocher, où elle est attachée, quoique Ovide n’en parle point. Ils me pardonneront si je ne les ai pas suivis en cette invention, comme j’ai fait en celle du cheval Pégase, sur lequel ils montent Persée pour combattre le monstre, quoique Ovide ne lui donne que des ailes aux talons. Ce changement donne lieu à une machine tout extraordinaire et merveilleuse, et empêche que Persée ne soit pris pour Mercure ; outre qu’ils ne le mettent pas en cet équipage sans fondement, vu que le même Ovide raconte que sitôt que Persée eut coupé la monstrueuse tête de Méduse, Pégase tout ailé sortit de cette Gorgone, et que Persée s’en put saisir dés lors pour faire ses courses par le milieu de l’air.

Nos globes célestes, où l’on marque pour constellations Céphée, Cassiope, Persée et Andromède m’ont donné jour à les faire enlever tous les quatre au ciel sur la fin de la pièce, pour y faire la noce de ces amants, comme si la terre n’en était pas digne.

Au reste, comme Ovide ne nomme point la ville où il fait arriver cette aventure, je me suis non plus enhardi à la nommer : il dit pour toute chose que Céphée régnait en Éthiopie, sans désigner sous quel climat. La topographie moderne de ces contrées-là n’est pas fort connue, et celle du temps de Céphée encore moins : je me contenterai donc de vous dire qu’il fallait que Céphée régnât en quelque pays maritime, que sa ville capitale fût sur le bord de la mer, et que ses peuples fussent blancs, quoique Éthiopiens. Ce n’est pas que les Maures les plus noirs n’aient leurs beautés à leur mode ; mais il n’est pas vraisemblable que Persée, qui était Grec, et né dans Argos, fût devenu amoureux d’Andromède si elle eût été de leur teint. J’ai pour moi le consentement de tous les peintres, et surtout l’autorité du grand Héliodore, qui ne fonde la blancheur de sa divine Chariclée que sur un tableau d’Andromède. Ma scène sera donc, s’il vous plait, dans la ville capitale de Céphée, proche de la mer, et pour le nom, vous lui donnerez tel qu’il vous plaira.

Vous trouverez cet ordre gardé dans les changements de théâtre, que chaque acte, aussi bien que le prologue, a sa décoration particulière, et du moins une machine volante, avec un concert de musique, que je n’ai employée qu’à satisfaire les oreilles des spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou remonter une machine, ou s’attachent à quelque chose qui leur empêche de prêter attention à ce que pourrait dire les acteurs, comme fait le combat de Persée contre le monstre : mais je me suis bien gardé de faire rien chanter qui fût nécessaire à l’intelligence de la pièce, parce que communément les paroles qui se chantent étant mal entendues des auditeurs, pour la confusion qu’y apporte la diversité des voix qui les prononcent ensemble, elles auraient fait une grande obscurité dans le corps de l’ouvrage, si elles avaient eu à instruire l’auditeur de quelque chose d’important. Il n’en va pas de même pour les machines, qui ne sont pas, dans cette tragédie, comme les agréments détachés ; elles en font le nœud et le dénoûment, et y sont si nécessaires, que vous n’en sauriez retrancher aucune que vous ne fassiez tomber tout l’édifice. J’ai été assez heureux à les inventer et à leur donner place dans la tissure de ce poëme ; mais aussi faut-il que j’avoue que le sieur Torrelli s’est surmonté lui-même à en exécuter les dessins, et qu’il a eu des inventions admirables pour les faire agir à propos ; de sorte que s’il m’est dû quelque gloire pour avoir introduit cette Vénus dans le premier acte, qui fait le nœud de cette tragédie par l’oracle ingénieux qu’elle prononce, il lui en est dû bien d’avantage pour l’avoir fait venir de si loin, et descendre au milieu de l’air dans cette magnifique étoile, avec tant d’art et de pompe qu’elle remplit tout le monde d’étonnement et d’admiration. Il en faut dire autant des autres que j’ai introduites, et dont il a inventé l’exécution, qui en a rendu le spectacle si merveilleux qu’il sera malaisé d’en faire un plus beau de cette nature. Pour moi, je confesse ingénument que, quelque effort d’imagination que j’aie fait depuis, je n’ai pu découvrir encore un sujet capable de tant d’ornement extérieurs, et où les machines pussent être distribuées avec tant de justesse ; je n’en désespère pas toutefois, et peut-être que le temps fera éclater quelqu’un assez brillant et assez heureux pour me faire dédire ce que j’avance. En attendant, recevez celui-ci comme le plus achevé qui aie encore paru sur nos théâtres ; et souffrez que la beauté de la représentation supplée au manque des beaux vers, que vous n’y trouverez pas en si grande quantité que dans Cinna ou dans Rodogune, parce que mon principal but à été de satisfaire la vue par l’éclat et la diversité du spectacle, et non pas de toucher l’esprit