Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/496

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cléobule

Si ses yeux l’ont trompé, l’erreur est légitime,

Et si vous n’en savez que ce qu’il vous a dit,

Ecoutez-en, Seigneur, un fidèle récit ;

Vous ignorez encor la meilleure partie :

Sous l’habit de Didyme elle-même est sortie.

Placide

Qui ?

Cléobule

Votre Théodore, et cet audacieux

Sous le sien, au lieu d’elle, est resté dans ces lieux.

Placide

Que dis-tu, Cléobule ! Ils ont fait cet échange ?

Cléobule

C’est une nouveauté qui doit sembler étrange…

Placide

Et qui me porte encor de plus étranges coups :

Vois si c’est sans raison que j’en étais jaloux,

Et, malgré les avis de ta fausse prudence,

Juge de leur amour par leur intelligence.

Cléobule

J’ose en douter encore et je ne vois pas bien

Si c’est zèle d’amant ou fureur de chrétien.

Placide

Non, non, ce téméraire, au péril de sa tête,

A mis en sûreté son illustre conquête ;

Par tant de feints mépris, elle, qui t’abusait,

Lui conservait ce cœur qu’elle me refusait,

Et ses dédains cachaient une faveur secrète,

Dont tu n’étais pour moi qu’un aveugle interprète.

L’œil d’un amant jaloux a bien d’autres clartés :

Les cœurs pour ses soupçons n’ont point d’obscurités ;

Son malheur lui fait jour jusques au fond d’une âme,

Pour y lire sa perte écrite en traits de flamme.

Elle me disait bien, l’ingrate, que son Dieu

Saurait, sans mon secours, la tirer de ce lieu,

Et, sûre qu’elle était de celui de Didyme,

À se servir du mien elle eût cru faire un crime.

Mais aurait-on bien pris pour générosité

L’impétueuse ardeur de sa témérité ?

Après un tel affront et de telles offenses,

M’aurait-on envie la douceur des vengeances ?

Cléobule

Vous le verriez déjà, si j’avais pu souffrir

Qu’en cet habit de fille on vous le vînt offrir :

J’ai cru que sa valeur et l’éclat de sa race

Pouvaient bien mériter cette petite grâce,

Et vous pardonnerez à ma vieille amitié

Si jusque-là, Seigneur, elle étend sa pitié.

Le voici qu’Amyntas vous amène à main-forte.

Placide

Pourrai-je retenir la fureur qui m’emporte ?

Cléobule

Seigneur, réglez si bien ce violent courroux,

Qu’il n’en échappe rien trop indigne de vous.

Scène V

Placide, Didyme, Cléobule, Paulin, Amyntas, Troupe

Placide

Approche, heureux rival, heureux choix d’une ingrate,

Dont je vois qu’à ma honte, enfin, l’amour eclate.

C’est donc pour t’enrichir d’un si noble butin

Qu’elle s’est obstinée à suivre son destin ?

Et pour mettre ton âme au comble de sa joie

Cet esprit déguisé n’a point eu d’autre voie !

Dans ces lieux dignes d’elle elle a reçu ta foi

Et pris l’occasion de se donner à toi !

Didyme

Ah ! Seigneur, traitez mieux une vertu parfaite.

Placide

Ah ! Je sais mieux que toi comme il faut qu’on la traite !

J’en connais l’artifice, et de tous ses mépris,

Sur quelle confiance as-tu tant entrepris ?

Ma perfide marâtre et mon tyran de père

Auraient-ils contre moi choisi ton ministère ?

Et pour mieux t’enhardir à me voler mon bien,

T’auraient-ils promis grâce, appui, faveur, soutien ?

Aurais-tu bien uni leurs fureurs à ton zèle,

Son amant tout ensemble et l’agent de Marcelle ?

Qu’en as-tu fait enfin ? Où me le caches-tu ?

Didyme

Derechef jugez mieux de la même vertu :

Je n’ai rien entrepris, ni comme amant fidèle,

Ni comme impie agent des fureurs de Ma