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Placide

Soupirer du bonheur que le ciel me renvoie !

Paulin

Je ne vois pas pour vous de grands sujets de joie.

Placide

Qu’on la bannisse ou non, je la verrai toujours.

Paulin

Quel fruit de cette vue espèrent vos amours ?

Placide

Le temps adoucira cette âme rigoureuse.

Paulin

Le temps ne rendra pas la vôtre plus heureuse.

Placide

Sans doute elle aura peine à me laisser périr.

Paulin

Qui le peut espérer devait la secourir.

Placide

Marcelle a fait pour moi tout ce que j’ai dû faire.

Paulin

Je n’ai donc rien à dire et dois ici me taire.

Placide

Non, non, il faut parler avec sincérité,

Et louer hautement sa générosité.

Paulin

Si vous me l’ordonnez, je louerai donc sa rage.

Mais depuis quand, Seigneur, changez-vous de courage ?

Depuis quand pour vertu prenez-vous la fureur ?

Depuis quand louez-vous ce qui doit faire horreur ?

Placide

Ah ! Je tremble à ces mots que j’ai peine à comprendre.

Paulin

Je ne sais pas, Seigneur, ce qu’on vous fait entendre,

Ou quel puissant motif retient votre courroux,

Mais Théodore enfin n’est plus digne de vous.

Placide

Quoi ! Marcelle en effet ne l’a pas garantie ?

Paulin

À peine d’avec vous, Seigneur, elle est sortie

Que, l’âme tout en feu, les yeux étincelants,

Rapportant elle-même un ordre de Valens,

Avec trente soldats elle a saisi la porte

Et, tirant de ce lieu Théodore à main-forte…

Placide

O dieux ! Jusqu’à ses pieds j’ai donc pu m’abaisser

Pour voir trahir des vœux qu’elle a feint d’exaucer,

Et pour en recevoir, avec tant d’insolence,

De tant de lâcheté la digne récompense !

Mon cœur avait déjà pressenti ce malheur.

Mais achève, Paulin, d’irriter ma douleur,

Et, sans m’entretenir des crimes de Marcelle,

Dis-moi qui je me dois immoler après elle,

Et sur quels insolents, après son châtiment,

Doit choir le reste affreux de mon ressentiment.

Paulin

Armez-vous donc, Seigneur, d’un peu de patience

Et forcez vos transports à me prêter silence

Tandis que le récit d’une injuste rigueur

Peut-être à chaque mot vous percera le cœur.

Je ne vous dirai point avec quelle tristesse

À ce honteux supplice a marché la princesse.

Forcé de la conduire en ces infâmes lieux,

De honte et de dépit j’en détournais les yeux

Et, pour la consoler ne sachant que lui dire,

Je maudissais tout bas les lois de notre empire,

Et vous étiez le dieu que, dans mes déplaisirs,

En secret, pour les rompre, invoquaient mes soupirs.

Placide

Ah ! Pour gagner ce temps on charmait mon courage

D’une fausse promesse, et puis d’un faux message !

Et j’ai cru dans ces cœurs de la sincérité !

Ne fais plus de reproche à ma crédulité,

Et poursuis.

Paulin

Dans ces lieux à peine on l’a traînée,

Qu’on a vu des soldats la troupe mutinée :

Tous courent à la proie avec avidité ;

Tous montrent à l’envi même brutalité.

Je croyais déjà voir de cette ardeur égale

Naître quelque discorde à ces tigres fatale,

Quand Didyme…

Placide

Ah ! Le lâche ! Ah ! Le traître !

Paulin

Ecoutez !

Ce traître a réuni toutes leurs volontés ;

Le front plein d’impudence, et l’œil armé d’audace :

"Compagnons, a-t-il dit, on me doit une grâce ;

Depuis plus de dix ans je souffre les mépris

Du plus ingrat objet dont on puisse être épris ;

Ce n’est pas de mes feux que je veux récompense,

Mais de tant de rigueurs la première vengeance ;

Après, vous punirez à loisir ses dédains."

Il leur jette de l’or ensuite à pleines mains,

Et lors, soit par respect qu’on eût pour sa naissance,

Soit qu’ils eussent marché sous son obéissance,

Soit que son or pour lui fît un si prompt effort,

Ces cœurs en sa faveur tombent soudain d’accord :

Il entre sans obstacle.

Placide

Il y mourra, l’infâme !

Viens me voir dans ses bras lui faire vomi