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ilège :

Les dieux sont au-dessus des rois dont vous sortez

Et l’on vous traite ici comme vous les traitez.

Vous les déshonorez, et l’on vous déshonore.

Théodore

Vous leur immolez donc l’honneur de Théodore,

À ces dieux dont enfin la plus sainte action

N’est qu’inceste, adultère, et prostitution ?

Pour venger les mépris que je fais de leurs temples,

Je me vois condamnée à suivre leurs exemples

Et, dans vos dures lois, je ne puis éviter

Ou de leur rendre hommage, ou de les imiter !

Dieu de la pureté, que vos lois sont bien autres !

Paulin

Au lieu de blasphémer, obéissez aux nôtres

Et ne redoublez point par vos impiétés

La haine et le courroux de nos dieux irrités :

Après nos châtiments ils ont encor leur foudre.

On vous donne de grâce une heure à vous résoudre ;

Vous savez votre arrêt, vous avez à choisir ;

Usez utilement de ce peu de loisir.

Théodore

Quelles sont vos rigueurs, si vous le nommez grâce !

Et quel choix voulez-vous qu’une chrétienne fasse,

Réduite à balancer son esprit agité

Entre l’idolâtrie et l’impudicité ?

Le choix est inutile où les maux sont extrêmes.

Reprenez votre grâce, et choisissez vous-même :

Quiconque peut choisir consent à l’un des deux,

Et le consentement est seul lâche et honteux.

Dieu, tout juste et tout bon, qui lit dans nos pensées,

N’impute point de crime aux actions forcées :

Soit que vous contraigniez pour vos dieux impuissants

Mon corps à l’infâmie ou ma main à l’encens,

Je saurai conserver, d’une âme résolue,

À l’époux sans macule une épouse impollue.

Scène II

Placide, Théodore, Paulin

Théodore

Mais que vois-je ? Ah ! Seigneur, est-ce Marcelle ou vous

Dont sur mon innocence éclate le courroux ?

L’arrêt qu’a contre moi prononcé votre père,

Est-ce pour la venger ou pour vous satisfaire ?

Est-ce mon ennemie ou mon illustre amant

Qui du nom de vos dieux abuse insolemment ?

Vos feux de sa fureur se sont-ils faits complices ?

Sont-ils d’intelligence à choisir mes supplices ?

Etouffent-ils si bien vos respects généreux

Qu’ils fassent mon bourreau d’un héros amoureux ?

Placide

Retirez-vous, Paulin.

Paulin

On me l’a mise en garde.

Placide

Je sais jusqu’à quel point ce devoir vous regarde ;

Prenez soin de la porte et sans me répliquer :

Ce n’est pas devant vous que je veux m’expliquer.

Paulin

Seigneur…

Placide

Laissez-nous, dis-je, et craignez ma colère ;

Je vous garantirai de celle de mon père.

Scène III

Placide, Théodore

Théodore

Quoi ! Vous chassez Paulin et vous craignez ses yeux,

Vous qui ne craignez pas la colère des cieux !

Placide

Redoublez vos mépris mais bannissez des craintes

Qui portent à mon cœur les plus rudes atteintes :

Ils sont encor plus doux que les indignités

Qu’imputent vos frayeurs à mes témérités,

Et ce n’est pas contre eux que mon âme s’irrite.

Je sais qu’ils font justice à mon peu de mérite,

Et, lorsque vous pouviez jouir de vos dédains,

Si j’osais les nommer quelquefois inhumains,

Je les justifiais dedans ma conscience,

Et je n’attendais rien que de ma patience,

Sans que pour ces grandeurs, qui font tant de jaloux,

Je me sois jamais cru moins indigne