Page:Corneille - Œuvres complètes Didot 1855 tome 1.djvu/482

Cette page n’a pas encore été corrigée

e de vie.

Vous pouvez en ces lieux vous en faire l’appui ;

Mais songez qu’il me reste un frère auprès de lui.

Valens

Sans en importuner l’autorité suprême,

Si je vous suis suspect, n’en croyez que vous-même.

Agissez en ma place, et faites-la venir ;

Quand vous la convaincrez, je saurai la punir

Et vous reconnaîtrez que, dans le fond de l’âme,

Je prends comme je dois l’intérêt d’une femme.

Marcelle

Puisque vous le voulez, j’oserai la mander :

Allez-y, Stéphanie, allez sans plus tarder.

Stéphanie s’en va, et Marcelle continue à parler à Valens.

Et si l’on m’a flattée avec un faux indice,

Je vous irai moi-même en demander justice.

Valens

N’oubliez pas alors que je la dois à tous,

Et même à Théodore, aussi bien comme à vous.

Marcelle

N’oubliez pas non plus quelle est votre promesse.

Valens s’en va, et Marcelle continue.

Il est temps que Flavie ait part à l’allégresse :

Avec cette espérance allons la soulager.

Et vous, dieux, qu’avec moi j’entreprends de venger,

Agréez ma victime et, pour finir ma peine,

Jetez un peu d’amour où règne tant de haine ;

Ou, si c’est trop pour nous qu’il soupire à son tour,

Jetez un peu de haine ou règne tant d’amour.

Acte II

Scène première

Théodore, Cléobule, Stéphanie

Stéphanie

Marcelle n’est pas loin, et je me persuade

Que son amour l’attache auprès de sa malade ;

Mais je vais l’avertir que vous êtes ici.

Théodore

Vous m’obligerez fort d’en prendre le souci

Et de lui témoigner avec quelle franchise

À ses commandements vous me voyez soumise.

Stéphanie

Dans un moment ou deux vous la verrez venir.

Scène II

Cléobule, Théodore

Cléobule

Tandis, permettez-moi de vous entretenir

Et de blâmer un peu cette vertu farouche,

Cette insensible humeur qu’aucun objet ne touche,

D’où naissent tant de feux sans pouvoir l’enflammer,

Et qui semble haïr quiconque ose l’aimer.

Je veux bien avec vous que dessous votre empire

Toute notre jeunesse en vain brûle et soupire,

J’approuve les mépris que vous rendez à tous :

Le ciel n’en a point fait qui soient dignes de vous ;

Mais je ne puis souffrir que la grandeur romaine

S’abaissant à vos pieds ait part à cette haine,

Et que vous égaliez, par vos durs traitements,

Ces maîtres de la terre aux vulgaires amants.

Quoiqu’une âpre vertu du nom d’amour s’irrite,

Elle trouve sa gloire à céder au mérite,

Et sa sévérité ne lui fait point de lois

Qu’elle n’aime à briser pour un illustre choix.

Voyez ce qu’est Valens, voyez ce qu’est Placide,

Voyez sur quels États l’un et l’autre préside,

Où le père et le fils peuvent un jour régner,

Et cessez d’être aveugle, et de le dédaigner.

Théodore

Je ne suis point aveugle, et vois ce qu’est un homme

Qu’élèvent la naissance et la fortune et Rome,

Je rends ce que je dois à l’éclat de son sang,

J’honore son mérite, et respecte son rang ;

Mais vous connaissez mal cette vertu farouche

De vouloir qu’aujourd’hui l’ambition la touche,

Et qu’une âme insensible aux plus sainte