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Marcelle

Qu’une indigne épouvante à présent me retienne ?

De ce feu turbulent l’éclat impétueux

N’est qu’un faible avorton d’un cœur présomptueux :

La menace à grand bruit ne porte aucune atteinte ;

Elle n’est qu’un effet d’impuissance et de crainte,

Et qui, si près du mal, s’amuse à menacer

Veut amollir le coup qu’il ne peut repousser.

Stéphanie

Théodore vivante, il craint votre colère ;

Mais voyez qu’il ne craint que parce qu’il espère,

Et c’est à vous, Madame, à bien considérer

Qu’il cessera de craindre en cessant d’espérer.

Marcelle

Si l’espoir fait sa peur, nous n’avons qu’à l’éteindre :

Il cessera d’aimer aussi bien que de craindre ;

L’amour va rarement jusque dans un tombeau

S’unir au reste affreux de l’objet le plus beau.

Hasardons. Je ne vois que ce conseil à prendre :

Théodore vivante, il n’en faut rien prétendre,

Et, Théodore morte, on peut encor douter

Quel sera le succès que tu veux redouter.

Quoi qu’il arrive enfin, de la sorte outragée,

C’est un plaisir bien doux que de se voir vengée.

Mais, dis-moi, ton indice est-il bien assuré ?

Stéphanie

J’en réponds sur ma tête, et l’ai trop avéré.

Marcelle

Ne t’oppose donc plus à ce moment de joie

Qu’aujourd’hui, par ta main, le juste ciel m’envoie.

Valens vient à propos, et, sur tes bons avis,

Je vais forcer le père à me venger du fils.

Scène IV

Valens, Marcelle, Paulin, Stéphanie

Marcelle

Jusques à quand, Seigneur, voulez-vous qu’abusée,

Au mépris d’un ingrat je demeure exposée,

Et qu’un fils arrogant, sous votre autorité,

Outrage votre femme avec impunité ?

Sont-ce là les douceurs, sont-ce là les caresses

Qu’en faisaient à ma fille espérer vos promesses ?

Et faut-il qu’un amour, conçu par votre aveu,

Lui coûte enfin la vie, et vous touche si peu ?

Valens

Plût aux dieux que mon sang eût de quoi satisfaire

Et l’amour de la fille et l’espoir de la mère,

Et qu’en le répandant je lui pusse gagner

Ce cœur dont l’insolence ose la dédaigner !

Mais de ses volontés le ciel est le seul maître :

J’ai promis de l’amour, il le doit faite naître ;

Si son ordre n’agit, l’effet ne s’en peut voir,

Et je pense être quitte y faisant mon pouvoir.

Marcelle

Faire votre pouvoir avec tant d’indulgence,

C’est avec son orgueil être d’intelligence ;

Aussi bien que le fils le père m’est suspect,

Et vous manquez de foi comme lui de respect.

Ah ! Si vous déployiez cette haute puissance

Que donnent aux parents les droits de la naissance…

Valens

Si la haine et l’amour lui doivent obéir,

Déployez-la, Madame, à le faire haïr.

Quel que soit le pouvoir d’un père en sa famille,

Puis-je plus sur mon fils que vous sur votre fille ?

Et si vous n’en pouvez vaincre la passion,

Dois-je plus obtenir sur tant d’aversion ?

Marcelle

Elle tâche à se vaincre, et son cœur y succombe,

Et l’effort qu’elle y fait la jette sous la tombe.

Valens

Elle n’a toutefois que l’amour à dompter,

Et Placide bien moins se pourrait surmonter,

Puisque deux passions le font être rebelle :

L’amour pour Théodore, et la haine pour elle.

Marcelle

Otez-lui Théodore, et, son amour dompté,

Vous dompterez sa haine avec facilité.

Valens

Pour l’ôter à Placide il faut qu’elle se donne.

Aime-t-elle quelque autre ?

Marcelle

Elle n’aime personne.

Mais qu’importe, Seigneur, qu’elle écoute aucuns vœux ?

Ce n’est pas son hymen, c’est sa mort que je veux.

Valens

Quoi ! Madame, abuser ainsi de ma puissance !

À votre passion immoler l’innocence !

Les dieux m’en puniraient.

Marcelle

Trouvent-ils innocents

Ceux dont l’impiété leur refuse l’encens ?

Prenez leur intérêt : Théodore est chrétienne ;

C’est la cause des dieux, et ce n’est pas la mienne.

Valens

Souvent la calomnie…

Marcelle

Il n’en faut plus parler.

Si vous vous préparez à le dissimuler,

Devenez protecteur de cette secte impie

Que l’empereur jamais ne crut dign