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s abois.

Si vous vous contentiez de ce que je vous dois.

Marcelle

Après tant de bienfaits, osé-je trop prétendre ?

Placide

Ce ne sont plus bienfaits alors qu’on veut les vendre.

Marcelle

Que doit donc un grand cœur aux faveurs qu’il reçoit ?

Placide

S’avouant redevable, il rend tout ce qu’il doit.

Marcelle

Tous les ingrats en foule iront à votre école,

Puisqu’on y devient quitte en payant de parole.

Placide

Je vous dirai donc plus, puisque vous me pressez :

Nous ne vous devons pas tout ce que vous pensez.

Marcelle

Que seriez-vous sans moi ?

Placide

Sans vous ? Ce que nous sommes :

Notre empereur est juste et sait choisir les hommes ;

Et mon père, après tout, ne se trouve qu’au rang

Où l’auraient mis, sans vous, ses vertus et son sang.

Marcelle

Ne vous souvient-il plus qu’on proscrivit sa tête ?

Placide

Par là votre artifice en fit votre conquête.

Marcelle

Ainsi de ma faveur vous nommez les effets !

Placide

Un autre ami peut-être aurait bien fait sa paix.

Et si votre faveur pour lui s’est employée,

Par son hymen, Madame, il vous a trop payée :

On voit peu d’unions de deux telles moitiés,

Et, la faveur à part, on sait qui vous étiez.

Marcelle

L’ouvrage de mes mains avoir tant d’insolence !

Placide

Elles m’ont mis trop haut pour souffrir une offense.

Marcelle

Quoi ! Vous tranchez ici du nouveau gouverneur ?

Placide

De mon rang, en tous lieux, je soutiendrai l’honneur.

Marcelle

Considérez donc mieux quelle main vous y porte ;

L’hymen seul de Flavie en est pour vous la porte.

Placide

Si je n’y puis entrer qu’acceptant cette loi,

Reprenez votre Égypte, et me laissez à moi.

Marcelle

Plus il me doit d’honneurs, plus son orgueil me brave !

Placide

Plus je reçois d’honneurs, moins je dois être esclave.

Marcelle

Conservez ce grand cœur, vous en aurez besoin.

Placide

Je le conserverai, Madame, avec grand soin,

Et votre grand pouvoir en chassera la vie

Avant que d’y surprendre aucun lieu pour Flavie.

Marcelle

J’en chasserai du moins l’ennemi qui me nuit.

Placide

Vous ferez peu d’effet avec beaucoup de bruit.

Marcelle

Je joindrai de si près l’effet à la menace

Que sa perte aujourd’hui me quittera la place.

Placide

Vous perdrez aujourd’hui… ?

Marcelle

Théodore, à vos yeux.

M’entendez-vous, Placide ? Oui, j’en jure les dieux,

Qu’aujourd’hui mon courroux, armé contre son crime,

Au pied de leurs autels en fera ma victime.

Placide

Et je jure à vos yeux ces mêmes immortels

Que je la vengerai jusque sur leurs autels.

Je jure plus encor : que, si je pouvais croire

Que vous eussiez dessein d’une action si noire,

Il n’est point de respect qui pût me retenir

D’en punir la pensée et de vous prévenir ;

Et que, pour garantir une tête si chère,

Je vous irais chercher jusqu’au lit de mon père.

M’entendez-vous, Madame ? Adieu, pensez-y bien.

N’épargnez pas mon sang, si vous versez le sien :

Autrement ce beau sang en fera verser d’autre,

Et ma fureur n’est pas pour se borner au vôtre.

Scène III

Marcelle, Stéphanie

Marcelle

As-tu vu, Stéphanie, un plus farouche orgueil ?

As-tu vu des mépris plus dignes du cercueil ?

Et pourrais-je épargner cette insolente vie,

Si sa perte n’était la perte de Flavie,

Dont le cruel destin prend un si triste cours

Qu’aux jours de ce barbare il attache ses jours ?

Stéphanie

Je tremble encor de voir où sa rage l’emporte.

Marcelle

Ma colère en devient et plus juste et plus forte,

Et l’aveugle fureur dont ses discours sont pleins

Ne m’arrachera pas ma vengeance des mains.

Stéphanie

Après votre vengeance, appréhendez la sienne.