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Ou t’enfoncer tout vif au centre de la terre,
Ou te fendre en dix parts d’un seul coup de revers,
Ou te jeter si haut au-dessus des éclairs,
Que tu sois dévoré des feux élémentaires.
Choisis donc promptement, et pense à tes affaires.

Clindor.

Vous-même choisissez.

Matamore.

Vous-même choisissez.Quel choix proposes-tu ?

Clindor.

De fuir en diligence, ou d’être bien battu.

Matamore.

Me menacer encore ! ah, ventre ! quelle audace !
Au lieu d’être à genoux, et d’implorer ma grâce !…
Il a donné le mot, ces valets vont sortir…
Je m’en vais commander aux mers de t’engloutir.

Clindor.

Sans vous chercher si loin un si grand cimetière,
Je vous vais, de ce pas, jeter dans la rivière.

Matamore.

Ils sont d’intelligence. Ah, tête !

Clindor.

Ils sont d’intelligence. Ah, tête !Point de bruit :
J’ai déjà massacré dix hommes cette nuit ;
Et si vous me fâchez, vous en croîtrez le nombre.

Matamore.

Cadédiou ! ce coquin a marché dans mon ombre ;
Il s’est fait tout vaillant d’avoir suivi mes pas :
S’il avait du respect, j’en voudrais faire cas.
Écoute : je suis bon, et ce serait dommage
De priver l’univers d’un homme de courage.
Demande-moi pardon, et cesse par tes feux
De profaner l’objet digne seul de mes vœux ;
Tu connais ma valeur, éprouve ma clémence.

Clindor.

Plutôt, si votre amour a tant de véhémence,
Faisons deux coups d’épée au nom de sa beauté.

Matamore.

Parbleu, tu me ravis de générosité.
Va, pour la conquérir n’use plus d’artifices,
Je te la veux donner pour prix de tes services ;
Plains-toi dorénavant d’avoir un maître ingrat !

Clindor.

À ce rare présent, d’aise le cœur me bat.
Protecteur des grands rois, guerrier trop magnanime,
Puisse tout l’univers bruire de votre estime !


Scène X

ISABELLE, MATAMORE, CLINDOR.
Isabelle.

Je rends grâces au ciel de ce qu’il a permis
Qu’à la fin, sans combat, je vous vois bons amis.

Matamore.

Ne pensez plus, ma reine, à l’honneur que ma flamme
Vous devait faire un jour de vous prendre pour femme ;
Pour quelque occasion j’ai changé de dessein :
Mais je vous veux donner un homme de ma main ;
Faites-en de l’état ; il est vaillant lui-même ;
Il commandait sous moi.

Isabelle.

Il commandait sous moi.Pour vous plaire, je l’aime.

Clindor.

Mais il faut du silence à notre affection.

Matamore.

Je vous promets silence, et ma protection.
Avouez-vous de moi par tous les coins du monde.
Je suis craint à l’égal sur la terre et sur l’onde ;
Allez, vivez contents sous une même loi.

Isabelle.

Pour vous mieux obéir je lui donne ma foi.

Clindor.

Commandez que sa foi de quelque effet suivie…


Scène XI

GÉRONTE, ADRASTE, MATAMORE, CLINDOR, ISABELLE, LYSE, troupe de domestiques.
Adraste.

Cet insolent discours te coûtera la vie,
Suborneur.

Matamore.

Suborneur.Ils ont pris mon courage en défaut.
Cette porte est ouverte, allons gagner le haut.

(Il entre chez Isabelle après qu’elle et Lyse y sont entrées.)
Clindor.

Traître ! qui te fais fort d’une troupe brigande,
Je te choisirai bien au milieu de la bande.

Géronte.

Dieux ! Adraste est blessé, courez au médecin.
Vous autres, cependant, arrêtez l’assassin.

Clindor.

Ah, ciel ! je cède au nombre. Adieu, chère Isabelle ;
Je tombe au précipice où mon destin m’appelle.

Géronte.

C’en est fait, emportez ce corps à la maison ;
Et vous, conduisez tôt ce traître à la prison.


Scène XII

ALCANDRE, PRIDAMANT.
Pridamant.

Hélas ! mon fils est mort.