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C’est trop indignement traiter un bon courage.
Si le ciel en naissant ne m’a fait grand seigneur,
Il m’a fait le cœur ferme et sensible à l’honneur :
Et je pourrais bien rendre un jour ce qu’on me prête.

Adraste.

Quoi ! vous me menacez !

Clindor.

Quoi ! vous me menacez !Non, non, je fais retraite.
D’un si cruel affront vous aurez peu de fruit ;
Mais ce n’est pas ici qu’il faut faire du bruit.


Scène VIII

ADRASTE, LYSE.
Adraste.

Ce belître insolent me fait encor bravade.

Lyse.

À ce compte, monsieur, votre esprit est malade ?

Adraste.

Malade, mon esprit !

Lyse.

Malade, mon esprit !Oui, puisqu’il est jaloux
Du malheureux agent de ce prince des fous.

Adraste.

Je sais ce que je suis, et ce qu’est Isabelle,
Et crains peu qu’un valet me supplante auprès d’elle.
Je ne puis toutefois souffrir sans quelque ennui
Le plaisir qu’elle prend à causer avec lui.

Lyse.

C’est dénier ensemble et confesser la dette.

Adraste.

Nomme, si tu le veux, ma boutade indiscrète,
Et trouve mes soupçons bien ou mal à propos,
Je l’ai chassé d’ici pour me mettre en repos.
En effet, qu’en est-il ?

Lyse.

En effet, qu’en est-il ?Si j’ose vous le dire,
Ce n’est plus que pour lui qu’Isabelle soupire.

Adraste.

Lyse, que me dis-tu ?

Lyse.

Lyse, que me dis-tu ?Qu’il possède son cœur,
Que jamais feux naissants n’eurent tant de vigueur,
Qu’ils meurent l’un pour l’autre, et n’ont qu’une pensée.

Adraste.

Trop ingrate beauté, déloyale, insensée,
Tu m’oses donc ainsi préférer un maraud ?

Lyse.

Ce rival orgueilleux le porte bien plus haut,
Et je vous en veux faire entière confidence :
Il se dit gentilhomme, et riche.

Adraste.

Il se dit gentilhomme, et riche.Ah ! l’impudence !

Lyse.

D’un père rigoureux fuyant l’autorité,
Il a couru longtemps d’un et d’autre côté ;
Enfin, manque d’argent peut-être, ou par caprice,
De notre fier-à-bras il s’est mis au service,
Et, sous ombre d’agir pour ses folles amours,
Il a su pratiquer de si rusés détours,
Et charmer tellement cette pauvre abusée,
Que vous en avez vu votre ardeur méprisée :
Mais parlez à son père, et bientôt son pouvoir
Remettra son esprit aux termes du devoir.

Adraste.

Je viens tout maintenant d’en tirer assurance
De recevoir les fruits de ma persévérance,
Et devant qu’il soit peu nous en verrons l’effet :
Mais écoute, il me faut obliger tout à fait.

Lyse.

Où je vous puis servir j’ose tout entreprendre.

Adraste.

Peux-tu dans leurs amours me les faire surprendre ?

Lyse.

Il n’est rien plus aisé ; peut-être dès ce soir.

Adraste.

Adieu donc. Souviens-toi de me les faire voir.
(Il lui donne un diamant.)
Cependant prends ceci seulement par avance.

Lyse.

Que le galant alors soit frotté d’importance !

Adraste.

Crois-moi qu’il se verra, pour te mieux contenter,
Chargé d’autant de bois qu’il en pourra porter.


Scène IX

LYSE.

L’arrogant croit déjà tenir ville gagnée ;
Mais il sera puni de m’avoir dédaignée.
Parce qu’il est aimable, il fait le petit dieu,
Et ne veut s’adresser qu’aux filles de bon lieu.
Je ne mérite pas l’honneur de ses caresses :
Vraiment c’est pour son nez, il lui faut des maîtresses ;
Je ne suis que servante : et qu’est-il que valet ?
Si son visage est beau, le mien n’est pas trop laid :
Il se dit riche et noble, et cela me fait rire ;
Si loin de son pays, qui n’en peut autant dire ?
Qu’il le soit, nous verrons ce soir, si je le tiens,
Danser sous le cotret sa noblesse et ses biens.


Scène X

ALCANDRE, PRIDAMANT.
Alcandre.

Le cœur vous bat un peu.