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ŒUVRES DE P. CORNEILLE.




PRÉFACE DE L’ÉDITEUR.


Publier aujourd’hui les Œuvres de Corneille, ce n’est pas les reproduire telles qu’elles ont été livrées pour la première fois au public par Corneille lui-même, puisque, dans la suite, il leur a fait subir de nombreuses corrections ; ce n’est pas non plus les réimprimer telles qu’elles existent dans les éditions de 1600 et 1663, car le texte de ces éditions, d’ailleurs incomplètes, a également éprouvé plusieurs rectifications importantes ; ce n’est pas enfin faire reparaître l’édition donnée par Thomas Corneille en 1692 : quoiqu’elle soit revêtue de la formule banale, revu et corrigé par l’auteur, il est constant que, depuis la mort de son frère, Thomas Corneille a introduit, soit dans le texte, soit dans la coupe des scènes, quelques changements et quelques modifications[1].

Pour retrouver le texte de Corneille, il faut le chercher dans l’édition de 1682, la dernière qu’il ait revue, et la seule qui contienne tout son théâtre : c’est celle que nous avons suivie. Quelques négligences typographiques, faciles à expliquer par le grand âge de l’auteur[2] et par l’état de faiblesse dans lequel il passa les deux dernières années de sa vie, ne sauraient ôter à cette édition la confiance que sa date lui assure. Du reste, il nous a suffi de consulter les précédentes, pour faire disparaître ces incorrections qui ne peuvent arrêter un instant le lecteur, et qui détruiraient, au besoin, les conjectures de quelques hommes, fort éclairés d’ailleurs, suivant lesquels l’édition de 1682 aurait été surveillée et dirigée par les deux frères.

Le véritable texte de Corneille reparaît donc ici dans toute sa pureté : il est accompagné du commentaire de Voltaire[3], des notes de la Harpe, des remarques de Palissot et de tous les écrivains dont ces ouvrages immortels ont exercé la critique ou excité l’admiration. Notre édition renferme en outre plusieurs lettres et quelques autres pièces inédites. Nous reproduisons, avec Voltaire et in grand nombre des éditeurs qui l’ont précédé ou suivi, la vie de Corneille, écrite par Fontenelle son neveu, telle qu’il la donna à d’Olivet pour être insérée dans l’Histoire de l’Académie[4] : mais pour compléter cette vie, nous avons cru devoir y joindre, sous le titre de Supplément, quelques faits relatifs à Corneille, et recueillis pour la plupart dans les écrits de ses contemporains.

Il est presque inutile d’ajouter que nous n’avons cité aucune des corrections adoptées par des comédiens qui se croient plus délicats que le public ; ils seraient plus réservés sans doute, s’ils se rappelaient que Baron ayant osé changer quelques vers de Nicomède, fut interrompu par le parterre, qui répéta sur-le-champ et tout haut la véritable leçon : hommage éclatant qui vengeait Corneille des atteintes de la médiocrité, et faisait le plus bel éloge de ses ouvrages, puisqu’il prouvait que les vers mêmes qu’on croyait susceptibles d’être corrigés étaient dans la mémoire de tous les spectateurs. L’admiration et le respect de la postérité sont éternellement acquis à ce génie puissant qui prépara la plus belle époque de notre histoire ; à cet écrivain fécond qui mit en jeu sur la scène toutes les passions du cœur humain ; à ce poète sublime qui sut réunir l’énergique et savante précision de Tacite à la noble et belle simplicité de Malherbe ; à cet homme prodigieux enfin, « véritablement né pour la gloire de son pays, comparable, non à tout ce que l’ancienne Rome a produit d’excellents tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort heureuse, mais aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide, dont la fameuse Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en même temps qu’eux[5]. »




VIE DE CORNEILLE,


PAR FONTENELLE.


Pierre Corneille naquit à Rouen, en 1606, de Pierre Corneille, maître des eaux et forêts en la vicomté de Rouen, et de Marthe le Pesant. Il fit ses études aux jésuites de Rouen, et il en a toujours conservé une extrême reconnaissance pour toute la

  1. Voltaire, qui d’ailleurs a tant fait pour la gloire de Corneille, n’a pas toujours reproduit fidèlement son texte. Adoptant tantôt celui des premières éditions, tantôt celui des dernières, quelquefois les mêlant tous ensemble, il a relevé des fautes qui n’existaient plus, et son exemple a séduit ou égaré presque tous les éditeurs modernes.
  2. Il avait alors soixante-seize ans, et mourut deux ans après.
  3. Ses préfaces se retrouvent en notes.
  4. Paris, 1730, in-l2, t.2, p. 2l0. — Cette Vie diffère, en quelques-unes de ses parties, de celle qui se trouve dans le tome III des Œuvres de Fontenelle, Paris, 1767, in 12.
  5. Racine, Discours à L’Académie française pour la réception de Th. Corneille. — Voyez, dans le tome II, le no 1 des Pièces relatives à Corneille.