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Des Parthes le mieux fait d’esprit et de visage,
Le plus puissant en biens, le plus grand en courage,
Le plus noble[1] : joins-y l’amour qu’il a pour moi ;
Et tout cela vaut bien un roi qui n’est que roi.
65Ne t’effarouche point d’un feu dont je fais gloire,
Et souffre de mes maux que j’achève l’histoire.
L’amour, sous les dehors de la civilité,
Profita quelque temps des longueurs du traité :
On ne soupçonna rien des soins d’un si grand homme.
70Mais il fallut choisir entre le Parthe et Rome.
Mon père eut ses raisons en faveur du Romain ;
J’eus les miennes pour l’autre, et parlai même en vain ;
Je fus mal écoutée, et dans ce grand ouvrage
On ne daigna peser ni compter mon suffrage.
75Nous fûmes donc pour Rome[2] ; et Suréna confus
Emporta la douleur d’un indigne refus.
Il m’en parut ému, mais il sut se contraindre :
Pour tout ressentiment il ne fit que nous plaindre ;
Et comme tout son cœur me demeura soumis,
80Notre adieu ne fut point un adieu d’ennemis.
Que servit de flatter l’espérance détruite ?
Mon père choisit mal : on l’a vu par la suite.
Suréna fit périr l’un et l’autre Crassus[3],
Et sur notre Arménie Orode eut le dessus :
85Il vint dans nos États fondre comme un tonnerre[4].

  1. Voyez ci-dessus, p. 460, note 3.
  2. « Ce qui plus l’asseura (Crassus) et l’encouragea, fut Artabazes le roy de l’Armenie, lequel vint deuers luy en son camp avec six mille cheuaux. » (Plutarque, Vie de Crassus, chapitre xix.)
  3. Voyez le récit de la mort de Publius, fils de Marcus Crassus, au chapitre xxc de la Vie de Crassus par Plutarque, et celui de la mort de Marcus Crassus lui-même au chapitre xxxi du même ouvrage.
  4. « Hyrodes ayant… diuisé ses forces en deux, luy auec vne partie alloit destruisant le royaume d’Armenie pour se venger du roy Artabazes, et auoit enuoyé Surena à l’encuntre des Romains. » (Plutarque, Vie de Crassus, chapitre xxi.)