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il préféra celui de Suréna, dont l’histoire lui fournissoit les mêmes circonstances, et le caractère d’un héros qui n’avoit point encore paru sur la scène. »

Il est fort curieux que Corneille ait ainsi songé, ne fût-ce qu’un instant, à transporter la scène d’une de ses tragédies dans un pays alors si mal connu, qu’il fallut encore en 1755 beaucoup de hardiesse à Voltaire pour oser faire représenter son Orphelin de la Chine.

Nous ne pouvons, du reste, contrôler le témoignage de Jolly par aucun autre. Privé pour cette époque du secours que nous ont fourni précédemment la Gazette de Loret et les Lettres en vers de Robinet, nous avons fort peu de détails sur tout ce qui concerne la tragédie de Suréna, et nous ignorons par quels acteurs cette pièce fut représentée.

« La tragédie de Suréna, dit Voltaire dans sa préface, fut jouée les derniers jours de 1674 et les premiers de 1675. » Les frères Parfait en placent l’analyse à la fin de l’année 1674, sans marquer ni le jour ni le mois de la première représentation. Elle est fixée au mardi 11 décembre dans le Journal du Théâtre françois[1], auquel nous n’avons guère recours qu’à défaut d’autre document, mais dont l’indication concorde en cette circonstance avec le passage suivant d’une lettre écrite par Bayle à M. Minutoli à Rouen, en date du 15 décembre 1674[2] : « On joue à l’hôtel de Bourgogne une nouvelle pièce de M. Corneille l’aîné, dont j’ai oublié le nom, qui fait, à la vérité, du bruit, mais pas eu égard au renom de l’auteur. Aussi dit-on que M. de Montausier lui dit en raillant : « Monsieur Corneille, j’ai vu le temps que je faisois d’assez bons vers ; mais, ma foi, depuis que je suis vieux, je ne fais rien qui vaille. Il faut laisser cela pour les jeunes gens. »

Que M. de Montausier ait parfois traité certains poëtes amateurs comme Alceste, dont il avait, dit-on, fourni le modèle, traite Oronte dans le Misanthrope, on le comprend, et l’on n’a pas le courage de lui en vouloir ; mais on aime à douter qu’il ait adressé des paroles aussi dures à un homme de

  1. Tome III, feuillet 1329 recto.
  2. Lettres de M. Bayle, publiées sur les originaux par des Maizeaux, Amsterdam, 1729, tome I, p. 61 et 62.