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Ce que peut votre flamme accorder à la mienne.
Grâces au juste ciel, ma gloire en sûreté
N’a plus à redouter aucune indignité.
J’éprouve du sénat l’amour et la justice,
1680Et n’ai qu’à le vouloir pour être impératrice.
Je n’abuserai point d’un surprenant respect
Qui semble un peu bien prompt pour n’être point suspect :
Souvent on se dédit de tant de complaisance.
Non que vous ne puissiez en fixer l’inconstance :
1685Si nous avons trop vu ses flux et ses reflux
Pour Galba, pour Othon, et pour Vitellius,
Rome, dont aujourd’hui vous êtes les délices[1],
N’aura jamais pour vous ces insolents caprices ;
Mais aussi cet amour qu’a pour vous l’univers
1690Ne vous peut garantir des ennemis couverts.
Un million de bras a beau garder un maître,
Un million de bras ne pare point d’un traître :
Il n’en faut qu’un pour perdre un prince aimé de tous,
Il n’y faut qu’un brutal qui me haïsse en vous ;
1695Aux zèles indiscrets tout paroît légitime,
Et la fausse vertu se fait honneur du crime.
Rome a sauvé ma gloire en me donnant sa voix ;
Sauvons-lui, vous et moi, la gloire de ses lois ;
Rendons-lui, vous et moi, cette reconnoissance
1700D’en avoir pour vous plaire affaibli la puissance,
De l’avoir immolée à vos plus doux souhaits.
On nous aime : faisons qu’on nous aime à jamais.
D’autres sur votre exemple épouseroient des reines

  1. Voyez ci-dessus, p. 218, note. — Racine, dans sa dernière scène, place également ce mot dans la bouche de Bérénice :
    Bérénice, Seigneur, ne vaut point tant d’alarmes ;
    Ni que par votre amour l’univers malheureux,
    Dans le temps que Titus attire tous ses vœux
    Et que de vos vertus il goûte les prémices,
    Se voye en un moment enlever ses délices.