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TITE.

Peut-être auriez-vous peine à le bien étouffer,
Si votre ambition n’en savoit triompher.
1515Moi qui n’ai que les Dieux au-dessus de ma tête,
Qui ne vois plus de rang digne de ma conquête,
Du trône où je me sieds puis-je aspirer à rien
Qu’à posséder un cœur qui n’aspire qu’au mien ?
C’est là de mes pareils la noble inquiétude :
1520L’ambition remplie y jette leur étude ;
Et sitôt qu’à prétendre elle n’a plus de jour,
Elle abandonne un cœur tout entier à l’amour.

DOMITIE.

Elle abandonne ainsi le vôtre à cette reine,
Qui cherche une grandeur encor plus souveraine.

TITE.

1525Non, Madame : je veux que vous sortiez d’erreur[1].
Bérénice aime Tite, et non pas l’Empereur ;
Elle en veut à mon cœur, et non pas à l’empire[2].

DOMITIE.

D’autres avoient déjà pris soin de me le dire,
Seigneur ; et votre reine a le goût délicat
1530De n’en vouloir qu’au cœur, et non pas à l’éclat.
Cet amour épuré que Tite seul lui donne
Renonceroit au rang pour être à la personne !
Mais on a beau, Seigneur, raffiner sur ce point,
La personne et le rang ne se séparent point.
1535Sous les tendres brillants de cette noble amorce
L’ambition cachée attaque, presse, force ;
Par là de ses projets elle vient mieux à bout ;
Elle ne prétend rien, et s’empare de tout.
L’art est grand ; mais enfin je ne sais s’il mérite

  1. Var. Non, Madame, et je veux que vous sortiez d’erreur. (1671)
  2. Cette idée revient plusieurs fois dans la Bérénice de Racine. Voyez le commencement de la scène iv du Ier acte, et la fin de la scène ii du IIe acte