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De ceux qu’unit le sang plus douces sont les chaînes,
1380Plus leur désunion met d’aigreur dans leurs haines ;
L’offense en est plus rude, et le courroux plus grand,
La suite plus barbare, et l’effet plus sanglant.
La nature en fureur s’abandonne à tout faire,
Et cinquante ennemis sont moins haïs qu’un frère.
1385Je ne réveille point des soupçons assoupis,
Et veux bien oublier le temps de Civilis[1] :
Vous étiez encor jeune, et sans vous bien connoître,
Vous pensiez n’être né que pour vivre sans maître ;
Mais les occasions renaissent aisément :
1390Une femme est flatteuse, un empire est charmant,
Et comme avec plaisir on s’en laisse surprendre,
On néglige bientôt les soins de s’en défendre.
Croyez-moi, séparez vos intérêts des siens.

DOMITIAN.

Eh bien ! j’en briserai les dangereux liens.
1395Pour votre sûreté j’accepte ce supplice ;
Mais pour m’en consoler, donnez-moi Bérénice.
Dût le sénat, dût Rome en frémir de courroux,
Vous n’osez l’épouser, j’oserai plus que vous ;
Je l’aime, et l’aimerai si votre âme y renonce.
1400Quoi ? n’osez-vous, Seigneur, me faire de réponse ?

TITE.

Se donne-t-elle à vous, et ne tient-il qu’à moi ?

DOMITIAN.

Elle a droit d’imiter qui lui manque de foi.

TITE.

Elle n’en a que trop ; et toutefois je doute
Que son amour trahi prenne la même route.

DOMITIAN.

1405Mais si pour se venger elle répond au mien ?

  1. Voir ci-dessus, page 246, note.