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Et du moins par pitié dites-moi quelque chose ;
925Accusez-moi plutôt, Seigneur, à votre tour,
Et m’imputez pour crime un trop parfait amour.
Vos chimères d’État, vos indignes scrupules,
Ne pourront-ils jamais passer pour ridicules ?
En souffrez vous encor la tyrannique loi ?
930Ont-ils encor sur vous plus de pouvoir que moi ?
Du bonheur de vous voir j’ai l’âme si ravie,
Que pour peu qu’il durât, j’oublierois Domitie.
Pourrez-vous l’épouser dans quatre jours ? Ô cieux !
Dans quatre jours ! Seigneur, y voudrez-vous mes yeux ?
935Vous plairez-vous à voir qu’en triomphe menée,
Je serve de victime à ce grand hyménée ;
Que traînée avec pompe aux marches de l’autel,
J’aille de votre main attendre un coup mortel ?
M’y verrez-vous mourir sans verser une larme ?
940Vous y préparez-vous sans trouble et sans alarme ?
Et si vous concevez l’excès de ma douleur,
N’en rejaillit-il[1] rien jusque dans votre cœur ?

TITE.

Hélas ! Madame, hélas ! Pourquoi vous ai-je vue ?
Et dans quel contre-temps êtes-vous revenue !
945Ce qu’on fit d’injustice à de si chers appas
M’avait assez coûté pour ne l’envier pas.
Votre absence et le temps m’avoient fait quelque grâce ;
J’en craignois un peu moins les malheurs où je passe ;
Je souffrois Domitie, et d’assidus efforts
950M’avoient, malgré l’amour, fait maître du dehors.
La contrainte sembloit tourner en habitude ;
Le joug que je prenois m’en paroissoit moins rude ;

  1. Toutes les éditions publiées du vivant de Corneille portent ici rejallit, que l’édition de 1692 a changé en rejaillit. Plus loin, au vers 1505, l’édition de 1671 est la seule qui porte rejaillît : toutes les autres, même celle de 1692, ont rejallit.