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DOMITIAN.

Qu’avez-vous dit de moi, prince ?Que dans votre âme
Vous laissez vivre encor notre première flamme ;
Et qu’en faveur du rang si vous m’osez trahir,
Ce n’est pas tant aimer, Madame, qu’obéir.
575C’est en dire un peu plus que vous n’aviez envie ;
Mais il y va de vous, il y va de ma vie ;
Et qui se voit si près de perdre tout son bien,
Se fait armes de tout, et ne ménage rien.

DOMITIE.

Je ne sais de vous deux, Seigneur, à ne rien feindre,
580Duquel je dois le plus me louer ou me plaindre.
C’est aimer assez mal, que remettre tous deux
Au choix de mes desirs le succès de vos vœux ;
Et cette liberté par tous les deux offerte
Montre que tous les deux peuvent souffrir ma perte,
585Et que tout leur amour est prêt à consentir
Que mon cœur ou ma foi veuille se démentir.
Je me plains de tous deux, et vous plains l’un et l’autre,
Si pour voir tout ce cœur vous m’ouvrez tout le vôtre.
Le prince n’agit pas en amant fort discret ;
590S’il ne m’impose rien, il trahit mon secret :
Tout ce qu’il vous en dit m’offense ou vous abuse.
Mais ce que fait l’amour, l’amour aussi l’excuse[1].
Vous, seigneur, je croyois que vous m’aimiez assez
Pour m’épargner le trouble où vous m’embarrassez,
595Et laisser pour couleur à mon peu de constance
La gloire d’obéir à la toute-puissance :
Vous m’ôtez cette excuse, et me voulez charger
De ce qu’a d’odieux la honte de changer.
Si le prince en mon cœur garde encor même place,
600C’est manquer de respect que vous le dire en face ;

  1. Après ce vers, Voltaire a ajouté les mots : à Tite.