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Mais sous les vains dehors de cette complaisance,
On ménagea ce prince avec tant de prudence,
125Qu’en dépit de son cœur, que charmoient tant d’appas,
Il l’obligea lui-même à revoir ses États.
À peine je le vis sans maîtresse et sans femme,
Que mon orgueil vers lui tourna toute mon âme ;
Et s’étant emparé des plus doux de mes soins,
130Son frère commença de me plaire un peu moins :
Non qu’il ne fût toujours maître de ma tendresse,
Mais je la regardais ainsi qu’une foiblesse,
Comme un honteux effet d’un amour éperdu
Qui me voloit un rang que je me croyois dû.
135Tite à peine sur moi jetoit alors la vue :
Cent fois avec douleur je m’en suis aperçue ;
Mais ce qui consoloit ce juste et long ennui,
C’est que Vespasian me regardoit pour lui.
Je commençois pourtant à n’en plus rien attendre,
140Quand je vis en ses yeux quelque chose de tendre ;
Il me rendit visite, et fit tout ce qu’on fait
Alors qu’on veut aimer, ou qu’on aime en effet.
Je veux bien t’avouer que j’y crus du mystère,
Qu’il ne me disoit rien que par l’ordre d’un père ;
145Mais qui ne pencheroit à s’en désabuser,
Lorsque, ce père mort, il songe à m’épouser ?
Toi qui vois tout mon cœur, juge de son martyre :
L’ambition l’entraîne, et l’amour le déchire.
Quand je crois m’être mise au-dessus de l’amour,
150L’amour vers son objet me ramène à son tour :
Je veux régner, et tremble à quitter ce que j’aime,
Et ne me saurois voir d’accord avec moi-même.

PLAUTINE.

Ah ! si Domitian devenoit empereur,
Que vous auriez bientôt calmé tout ce grand cœur !
Que bientôt… Mais il vient. Ce grand cœur en soupire !