Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quel importun chagrin pouvez-vous écouter ?
15Si vous n’en êtes pas tout à fait la maîtresse,
Du moins à l’Empereur cachez cette tristesse :
Le dangereux soupçon de n’être pas aimé
Peut le rendre à l’objet dont il fut trop charmé.
Avant qu’il vous aimât, il aimoit Bérénice ;
20Et s’il n’en put alors faire une impératrice,
À présent il est maître, et son père au tombeau
Ne peut plus le forcer d’éteindre un feu si beau.

DOMITIE.

C’est là ce qui me gêne, et l’image importune
Qui trouble les douceurs de toute ma fortune :
25J’ambitionne et crains l’hymen d’un empereur
Dont j’ai lieu de douter si j’aurai tout le cœur.
Ce pompeux appareil, où sans cesse il ajoute,
Recule chaque jour un nœud qui le dégoûte.
Il souffre chaque jour que le gouvernement
30Vole ce qu’à me plaire il doit d’attachement ;
Et ce qu’il en étale agit d’une manière
Qui ne m’assure point d’une âme toute entière.
Souvent même, au milieu des offres de sa foi,
Il semble tout à coup qu’il n’est pas avec moi,
35Qu’il a quelque plus douce ou noble inquiétude.
Son feu de sa raison est l’effet et l’étude ;
Il s’en fait un plaisir bien moins qu’un embarras,
Et s’efforce à m’aimer ; mais il ne m’aime pas.

PLAUTINE.

À cet effort pour vous qui pourroit le contraindre ?
40Maître de l’univers, a-t-il un maître à craindre ?

DOMITIE.

J’ai quelques droits, Plautine, à l’empire romain,
Que le choix d’un époux peut mettre en bonne main :
Mon père, avant le sien élu pour cet empire,