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pris soin de faire jouer une seconde pièce avec celle de Corneille à chacune des quatre dernières représentations, pour tâcher d’attirer un peu plus de monde. Les registres de Lagrange, d’où sont tirés ces renseignements, nous en fournissent encore un autre plus précieux : ils nous font connaître le montant de la somme touchée par Corneille. On y lit sous la date du 28 novembre 1670 : « Bérénice, pièce nouvelle de M. de Corneille l’aîné, dont on lui a payé deux mille livres. »

Outre cette interprétation maligne à laquelle peut se prêter la préface de Racine, il semble qu’on puisse découvrir ou du moins soupçonner une intention du même genre dans une des scènes de sa tragédie même. Tite s’exprime ainsi chez Corneille (acte III, scène v, vers 1027-1034) :

Eh bien ! Madame, il faut renoncer à ce titre (d’empereur),
Qui de toute la terre en vain me fait l’arbitre.
Allons dans vos États m’en donner un plus doux ;
Ma gloire la plus haute est celle d’être à vous.
Allons où je n’aurai que vous pour souveraine,
Où vos bras amoureux seront ma seule chaîne,
Où l’hymen en triomphe à jamais l’étreindra ;
Et soit de Rome esclave et maître qui voudra !

Titus, au contraire, dit chez Racine (acte V, scène vi) :

Je dois vous épouser encor moins que jamais :
Oui, Madame ; et je dois moins encore vous dire
Que je suis prêt, pour vous, d’abandonner l’empire,
De vous suivre, et d’aller, trop content de mes fers,
Soupirer avec vous au bout de l’univers.
Vous-même rougiriez de ma lâche conduite :
Vous verriez à regret marcher à votre suite
Un indigne empereur, sans empire, sans cour,
Vil spectacle aux humains des foiblesses d’amour.

Est-ce un simple hasard qui a produit entre le langage de Tite et celui de Titus une opposition si vivement marquée ? On pourrait être tenté d’en douter ; car il n’est pas absolument impossible qu’une indiscrétion ait fait connaître à Racine ce passage de la pièce de son rival, et qu’il se soit plu à réfuter d’avance les idées qui y sont exprimées.