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tus invitant[1]. C’est-à-dire que Titus, qui aimoit passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu’on croyoit, lui avoit promis de l’épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. »

Ce mot que Racine rappelle ici, il ne l’a pas imité, tandis qu’on lit dans la dernière scène de la pièce de Corneille :

L’amour peut-il se faire une si dure loi ?
— La raison me la fait malgré vous, malgré moi.

La préface de Racine contient plus d’un passage qu’on pourrait regarder, que l’auteur y ait pensé ou non, comme une allusion désobligeante à l’ouvrage de son concurrent. Corneille avait cru devoir ajouter des épisodes au sujet qui lui avait été donné : « Ce qui m’en plut davantage, dit au contraire Racine, c’est que je le trouvai extrêmement simple ; » et il ajoute : « Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien, et que tout ce grand nombre d’incidents a toujours été le refuge des poëtes qui ne sentoient dans leur génie ni assez d’abondance ni assez de force pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l’élégance de l’expression. Je suis bien éloigné de croire que toutes ces choses se rencontrent dans mon ouvrage ; mais aussi je ne puis croire que le public me sache mauvais gré de lui avoir donné une tragédie qui a été honorée de tant de larmes, et dont la trentième représentation a été aussi suivie que la première. »

Faire sonner si haut ces trente représentations si bien suivies, c’était, à dessein ou non je le répète, appeler l’attention sur le peu de succès de Tite et Bérénice, qui ne fut joué en tout que vingt et une fois. L’ensemble de ces vingt et une représentations produisit une somme totale de quinze mille trois cent soixante-seize livres dix sous, qui se trouva fort inégalement répartie ; car si la première recette fut de dix-neuf cent treize livres dix sous, la dernière ne fut plus que de deux cent six livres dix sous ; encore faut-il remarquer que Molière avait

  1. Suétone, Vie de Titus, chapitre vii.