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plus tard il écrivait à Louis XIV, en le remerciant d’avoir fait reparaître certains de ses ouvrages et en le priant d’étendre à d’autres la même faveur, que s’il daignait leur accorder quelque attention :

Bérénice enfin trouveroit des acteurs.

Avouons, du reste, que les comédiens qui jouaient dans cette pièce devaient être assez embarrassés pour exprimer certains sentiments factices, et même pour comprendre quelques passages obscurs. Cizeron Rival raconte à ce sujet une anecdote[1] dont nous n’oserions pas garantir l’exactitude, mais qui est tout à la fois trop piquante et trop connue pour qu’il soit permis de la passer sous silence. « M. Despréaux distinguoit ordinairement deux sortes de galimatias : le galimatias simple, et le galimatias double. Il appeloit galimatias simple, celui où l’auteur entendoit ce qu’il vouloit dire, mais où les autres n’entendoient rien ; et le galimatias double, celui où l’auteur ni les lecteurs ne pouvoient rien comprendre… Il citoit pour exemple ces quatre vers de la tragédie de Tite et Bérénice du grand Corneille (acte I, scène ii) :


Faut-il mourir, Madame ? et si proche du terme,
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme,
Que les restes d’un feu que j’avois cru si fort
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort ?


Baron, ce célèbre acteur, devoit faire le rôle de Domitian dans cette même tragédie, et comme il étudioit son rôle, l’obscurité des vers rapportés ci-dessus lui donna quelque peine, et il en alla demander l’explication à Molière, chez qui il demeuroit. Molière, après les avoir lus, lui dit qu’il ne les entendoit pas non plus : « Mais, attendez, dit-il à Baron ; M. Corneille doit venir souper avec nous aujourd’hui, et vous lui direz qu’il vous les explique. » Dès que Corneille arriva, le jeune Baron alla lui sauter au cou, comme il faisoit ordinairement, parce qu’il l’aimoit, et ensuite il le pria de lui expliquer ces quatre

  1. Récréations littéraires ou Anecdotes et remarques sur différents sujets, recueillies par M. C. R*** (Cizeron Rival). Paris et Lyon, 1765, in-12, p. 67-69.