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Déjà, dans son Siècle de Louis XIV[1], Voltaire avait expliqué le caractère de cette liaison du Roi et de Madame, et marqué d’une manière plus précise quelle avait été l’intention de cette princesse, en imposant à nos deux plus grands poètes tragiques une tâche si difficile et si dangereuse : « Il y eut d’abord entre Madame et le Roi beaucoup de ces coquetteries d’esprit et de cette intelligence secrète, qui se remarquèrent dans de petites fêtes souvent répétées. Le Roi lui envoyait des vers ; elle y répondait. Il arriva que le même homme fut à la fois le confident du Roi et de Madame dans ce commerce ingénieux. C’était le marquis de Dangeau. Le Roi le chargeait d’écrire pour lui ; et la princesse l’engageait à répondre au Roi. Il les servit ainsi tous deux, sans laisser soupçonner à l’un qu’il fût employé par l’autre ; et ce fut une des causes de sa fortune. Cette intelligence jeta des alarmes dans la famille royale. Le Roi réduisit l’éclat de ce commerce à un fonds d’estime et d’amitié qui ne s’altéra jamais. Lorsque Madame fit depuis travailler Racine et Corneille à la tragédie de Bérénice, elle avait en vue, non-seulement la rupture du Roi avec la connétable Colonne[2], mais le frein qu’elle-même

    cesse, fort touchée des choses d’esprit et qui eût pu les mettre à la mode dans un pays barbare, eut besoin de beaucoup d’adresse pour faire trouver les deux combattants sur le champ de bataille, sans qu’ils sussent où on les menoit. Mais à qui demeura la victoire ? Au plus jeune. » (Vie de Corneille dans l’Histoire de l’Académie française de Pellisson, publiée par l’abbé d’Olivet en 1729, in-4o, p. 195.) En 1742, lorsque la Vie de Corneille parut pour la première fois dans les Œuvres de Fontenelle, le passage que nous venons de citer ne subit qu’un fort léger changement : « Feue Madame, princesse, » au lieu de « une princesse. » (Tome III, p. 116 et 117.) Du reste, dans l’une et l’autre publication, le mot princesse est expliqué par cette note au bas de la page : « Henriette-Anne d’Angleterre. » En 1747, Louis Racine, dans ses Mémoires, rappelle fort sommairement le même fait ; il dit en parlant de Bérénice : « M. de Fontenelle, dans la Vie de Corneille, son oncle, nous dit que Bérénice fut un duel… Une princesse fameuse par son esprit et par son amour pour la poésie avait engagé les deux rivaux à traiter le même sujet. » (Pages 87 et 88.)

  1. Chapitre xxv.
  2. Marie Mancini, nièce du cardinal Mazarin, née à Rome