Vous me faites pitié de si mal vous connoître,
Que d’avoir tant d’amour, et le faire paroître.
Il est honteux, Madame, à des rois tels que nous,
Quand ils en sont blessés, d’en laisser voir les coups.
Il a droit de régner sur les âmes communes,
Non sur celles qui font et défont les fortunes ;
Et si de tout le cœur on ne peut l’arracher,
Il faut s’en rendre maître, ou du moins le cacher.
Je ne vous blâme point d’avoir eu mes foiblesses ;
Mais faites même effort sur ces lâches tendresses,
Et comme je vous tiens seule digne de moi,
Tenez-moi seul aussi digne de votre foi.
Vous aimez Valamir, et j’adore Ildione :
Je me garde pour vous, gardez-vous pour mon trône ;
Prenez ainsi que moi des sentiments plus hauts,
Et suivez mes vertus ainsi que mes défauts.
Parle de tes fureurs et de leur noir ouvrage :
Il s’y mêle peut-être une ombre de courage ;
Mais bien loin qu’avec gloire on te puisse imiter,
La vertu des tyrans est même à détester.
Irois-je à ton exemple assassiner mon frère ?
Sur tous mes alliés répandre ma colère ?
Me baigner dans leur sang, et d’un orgueil jaloux… ?
Si nous nous emportons, j’irai plus loin que vous,
Madame.
Les grands cœurs parlent avec franchise.
Quand je m’en souviendrai, n’en soyez pas surprise ;
Et si je vous épouse avec ce souvenir,
Vous voyez le passé, jugez de l’avenir.