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ATTILA.

Comme il faut dédaigner le plus grand des humains ;860
Dites-moi quels mépris peuvent le satisfaire.
Ah ! si je lui déplais à force de lui plaire,
Si de son trop d’amour sa haine est tout le fruit,
Alors qu’on la mérite, où se voit-on réduit ?
Allez, Seigneur, allez où tant d’orgueil aspire.865
Honorie a pour dot la moitié de l’empire ;
D’un mérite penchant c’est un ferme soutien ;
Et cet heureux éclat efface tout le mien :
Je n’ai que ma personne.

ATTILA.

Je n’ai que ma personne.Et c’est plus que l’empire.
Plus qu’un droit souverain sur tout ce qui respire.870
Tout ce qu’a cet empire ou de grand ou de doux,
Je veux mettre ma gloire à le tenir de vous.
Faites-moi l’accepter, et pour reconnoissance
Quels climats voulez-vous sous votre obéissance ?
Si la Gaule vous plaît, vous la partagerez :875
J’en offre la conquête à vos yeux adorés ;
Et mon amour…

ILDIONE.

Et mon amour…À quoi que cet amour s’apprête,
La main du conquérant vaut mieux que sa conquête,

ATTILA.

Quoi ? vous pourriez m’aimer, Madame, à votre tour ?
Qui sème tant d’horreurs fait naître peu d’amour.880
Qu’aimeriez-vous en moi ? Je suis cruel, barbare ;
Je n’ai que ma fierté, que ma fureur de rare :
On me craint, on me hait ; on me nomme en tout lieu
La terreur des mortels et le fléau de Dieu[1].
Aux refus que je veux c’est là trop de matière ;885
Et si ce n’est assez d’y joindre la prière,

  1. Voyez ci-dessus, p. 103, note 4.