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Soit qu’elle en veuille au trône ou n’en veuille qu’à moi,
Qu’elle aime Grimoald ou qu’elle aime le roi,
Qu’elle ait beaucoup d’amour ou beaucoup de courage,
Je dois tout à la main qui rompt mon esclavage.
1165Toi qui ne la servois qu’afin de m’obéir,
Qui tâchois par mon ordre à m’en faire haïr,
Duc, ne t’y force plus, et rends-moi ma parole[1] :
Que je rende à ses feux tout ce que je leur vole,
Et que je puisse ainsi d’une même action
1170Récompenser sa flamme ou son ambition.

GARIBALDE.

Je vous la rends, Seigneur ; mais enfin prenez garde
À quels nouveaux périls cet effort vous hasarde,
Et si ce n’est point croire un peu trop promptement
L’impétueux transport d’un premier mouvement.
1175L’imposteur impuni passera pour monarque :
Tout le peuple en prendra votre bonté pour marque ;
Et comme il est ardent après la nouveauté,
Il s’imaginera son rang seul respecté.
Je sais bien qu’aussitôt votre haute vaillance
1180De ce peuple mutin domptera l’insolence ;
Mais tenez-vous fort sûr ce que vous prétendez
Du côté d’Édüige, à qui vous vous rendez ?
J’ai pénétré, Seigneur, jusqu’au fond de son âme,
Où je n’ai vu pour vous aucun reste de flamme :
1185Sa haine seule agit, et cherche à vous ôter
Ce que tous vos désirs s’efforcent d’emporter.
Elle veut, il est vrai, vous rappeler vers elle ;
Mais pour faire à son tour l’ingrate et la cruelle,
Pour vous traiter de lâche, et vous rendre soudain
1190Parjure pour parjure et dédain pour dédain.
Elle veut que votre âme, esclave de la sienne,

  1. Var. Duc, ne t’y force plus, et me rends ma parole. (1653-56)