Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
PERTHARITE

935Quelque honneur qui par là s’attache à ma mémoire,
Je veux bien avec vous en partager la gloire,
Et que tout l’avenir ait de quoi m’accuser
D’avoir appris de vous l’art de tyranniser.
Vous devriez pourtant régler mieux ce courage,
940N’en pousser point l’effort jusqu’aux bords de la rage,
Ne lui permettre rien qui sentît la fureur,
Et le faire admirer sans en donner d’horreur.
Faire la furieuse et la désespérée,
Paroître avec éclat mère dénaturée,
945Sortir hors de vous-même, et montrer à grand bruit
À quelle extrémité mon amour vous réduit,
C’est mettre avec trop d’art la douleur en parade ;
Qui fait le plus de bruit n’est pas le plus malade :
Les plus grands déplaisirs sont les moins éclatants ;
950Et l’on sait qu’un grand cœur se possède en tout temps.
Vous le savez, Madame, et que les grandes âmes
Ne s’abaissent jamais aux foiblesses des femmes,
Ne s’aveuglent jamais ainsi hors de saison ;
Que leur désespoir même agit avec raison,
Et que…

RODELINDE.

Et que…C’en est assez : sois-moi juge équitable[1],
Et dis-moi si le mien agit en raisonnable,
Si je parle en aveugle, ou si j’ai de bons yeux.
Tu veux rendre à mon fils le bien de ses aïeux,
Et toute ta vertu jusque-là t’abandonne,
960Que tu mets en mon choix sa mort ou ta couronne !
Quand j’aurai satisfait tes vœux désespérés[2],
Dois-je croire ses jours beaucoup plus assurés ?

  1. Var.Et que…C’est assez dit : sois-moi juge équitable,
    Et me dis si le mien agit en raisonnable. (1653-56)
  2. Var. Quand j’aurai satisfait tes feux désespérés. (1653-56)