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Qui dérobe à Pison le reste de ma vie ;
Et je sais trop la cour pour douter un moment,
Ou des soins de sa haine, ou de l’événement.

CAMILLE.

Et c’est là ce grand cœur qu’on croyait intrépide !
1090Le péril, comme un autre, à mes yeux l’intimide !
Et pour monter au trône, et pour me posséder,
Son espoir le plus beau n’ose rien hasarder !
Il redoute Pison ! Dites-moi donc, de grâce,
Si d’aimer en lieu même[1] on vous a vu l’audace,
1095Si pour vous et pour lui le trône eut même appas,
Êtes-vous moins rivaux pour ne m’épouser pas ?
À quel droit voulez-vous que cette haine cesse
Pour qui lui disputa ce trône et sa maîtresse,
Et qu’il veuille oublier, se voyant souverain,
1100Que vous pouvez dans l’âme en garder le dessein ?
Ne vous y trompez plus : il a vu dans cette âme
Et votre ambition et toute votre flamme,
Et peut tout contre vous, à moins que contre lui
Mon hymen chez Galba vous assure un appui.

OTHON.

1105Eh bien ! il me perdra pour vous avoir aimée ;
Sa haine sera douce à mon âme enflammée ;
Et tout mon sang n’a rien que je veuille épargner,
Si ce n’est que par là que vous pouvez régner.
Permettez cependant à cet amour sincère
1110De vous redire encor ce qu’il n’ose vous taire :
En l’état qu’est Pison, il vous faut aujourd’hui
Renoncer à l’empire, ou le prendre avec lui.
Avant qu’en décider, pensez-y bien, Madame ;
C’est votre intérêt seul qui fait parler ma flamme.

  1. Aimer en lieu même, aimer en même lieu, aimer la même femme que Pison.