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Je suis trop ignorante en matière d’État
Pour savoir quel doit être un si grand potentat ;
905Mais Rome dans ses murs n’a-t-elle qu’un seul homme,
N’a-t-elle que Pison qui soit digne de Rome ?
Et dans tous ses États n’en saurait-on voir deux
Que puissent vos bontés hasarder à mes vœux ?
Néron fit aux vertus une cruelle guerre,
910S’il en a dépeuplé les trois parts de la terre,
Et si, pour nous donner de dignes empereurs,
Pison seul avec vous échappe à ses fureurs.
Il est d’autres héros dans un si vaste empire ;
Il en est qu’après vous on se plairait d’élire,
915Et qui sauroient mêler, sans vous faire rougir,
L’art de gagner les cœurs au grand art de régir.
D’une vertu sauvage on craint un dur empire,
Souvent on s’en dégoûte au moment qu’on l’admire ;
Et puisque ce grand choix me doit faire un époux,
920Il seroit bon qu’il eût quelque chose de doux,
Qu’on vît en sa personne également paroître
Les grâces d’un amant et les hauteurs d’un maître,
Et qu’il fût aussi propre à donner de l’amour
Qu’à faire ici trembler sous lui toute sa cour[1].
925Souvent un peu d’amour dans les cœurs des monarques[2]
Accompagne assez bien leurs plus illustres marques.
Ce n’est pas qu’après tout je pense à résister :
J’aime à vous obéir, seigneur, sans contester.
Pour prix d’un sacrifice où mon cœur se dispose,
930Permettez qu’un époux me doive quelque chose.
Dans cette servitude où se plaît mon desir,
C’est quelque liberté qu’un ou deux à choisir.
Votre Pison peut-être aura de quoi me plaire,

  1. Var. Qu’à faire ici trembler sous lui toute la cour. (1665 et 66)
  2. Var. Souvent un peu d’amour dans le cœur des monarques. (1665-68)