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330Il auroit renoncé pour elle au diadème !

OTHON.

Ah ! qu’il faut aimer peu pour faire son bonheur,
Pour tirer vanité d’un si fatal honneur !
Si vous m’aimiez, Madame, il vous seroit sensible
De voir qu’à d’autres vœux mon cœur fût accessible,
335Et la nécessité de le porter ailleurs
Vous auroit fait déjà partager mes douleurs.
Mais tout mon désespoir n’a rien qui vous alarme :
Vous pouvez perdre Othon sans verser une larme ;
Vous en témoignez joie, et vous-même aspirez
340À tout l’excès des maux qui me sont préparés.

PLAUTINE.

Que votre aveuglement a pour moi d’injustice !
Pour épargner vos maux j’augmente mon supplice,
Je souffre, et c’est pour vous que j’ose m’imposer
La gêne de souffrir et de le déguiser.
345Tout ce que vous sentez, je le sens dans mon âme ;
J’ai mêmes déplaisirs, comme j’ai même flamme ;
J’ai mêmes désespoirs[1] ; mais je sais les cacher,
Et paroître insensible afin de moins toucher.
Faites à vos desirs pareille violence,
350Retenez-en l’éclat, sauvez-en l’apparence :
Au péril qui nous presse immolez le dehors,
Et pour vous faire aimer montrez d’autres transports.
Je ne vous défends point une douleur muette,
Pourvu que votre front[2] n’en soit point l’interprète,

  1. Voltaire (1764) a mis « même désespoir, » au singulier. Thomas Corneille (1692) l’avait mis sur la voie par une faute typographique : son texte est « même désespoirs. » Dans l’impression de 1666 il y a une autre faute qui invitait aussi à ce changement du pluriel en singulier :
    J’ai mêmes désespoirs, mais je sais le cacher.
  2. L’impression de 1665 donne par erreur : « notre front, » pour « votre front. »