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ACTE V, SCENE I.

1535Et l’amour de la vie en faveur d’un époux
Doit-il être en ce cœur aussi puissant que vous ?
Ce héros a trop fait de m’avoir épousée ;
De sa seule pitié s’il m’eût favorisée,
Cette pitié peut-être en ce triste et grand jour
1540Auroit plus fait pour moi que cet excès d’amour.
Il devoit voir que Rome en juste défiance…

HERMINIE.

Mais vous lui témoigniez pareille impatience ;
Et vos feux rallumés montroient de leur côté
Pour ce nouvel hymen égale avidité.

SOPHONISBE.

1545Ce n’étoit point l’amour qui la rendoit égale :
C’étoit la folle ardeur de braver ma rivale ;
J’en faisois mon suprême et mon unique bien.
Tous les cœurs ont leur foible, et c’étoit là le mien.
La présence d’Éryxe aujourd’hui m’a perdue ;
1550Je me serois sans elle un peu mieux défendue ;
J’aurois su mieux choisir et les temps et les lieux.
Mais ce vainqueur vers elle eût pu tourner les yeux :
Tout mon orgueil disoit à mon âme jalouse
Qu’une heure de remise en eût fait son épouse,
1555Et que pour me braver à son tour hautement,
Son feu se fût saisi de ce retardement.
Cet orgueil dure encore, et c’est lui qui l’invite
Par un message exprès à me rendre visite,
Pour reprendre à ses yeux un si cher conquérant,
1560Ou, s’il me faut mourir, la braver en mourant.
Mais je vois Mézétulle ; en cette conjoncture,
Son retour sans ce prince est d’un mauvais augure.
Raffermis-toi, mon âme, et prends des sentiments
À te mettre au-dessus de tous événements.