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SOPHONISBE.

Scène II.

LÉLIUS, SYPHAX, LÉPIDE.
LÉLIUS.

Détachez-lui ces fers[1], il suffit qu’on le garde.
Prince, je vous ai vu tantôt comme ennemi,
Et vous vois maintenant comme ancien[2] ami[3].
Le fameux Scipion, de qui vous fûtes l’hôte,
1150Ne s’offensera point des fers que je vous ôte,
Et feroit encor plus, s’il nous étoit permis
De vous remettre au rang de nos plus chers amis.

SYPHAX.

Ah ! ne rejetez point dans ma triste mémoire
Le cuisant souvenir de l’excès de ma gloire ;
1155Et ne reprochez point à mon cœur désolé,
À force de bontés, ce qu’il a violé.
Je fus l’ami de Rome, et de ce grand courage
Qu’opposent nos destins aux destins de Carthage :
Toutes deux, et ce fut le plus beau de mes jours,
1160Par leurs plus grands héros briguèrent mon secours[4].

  1. Thomas Corneille (1692) et Voltaire (1764) ont changé « ces fers » en « ses fers. »
  2. Voltaire, afin de ne compter ancien que pour un mot de deux syllabes, a ainsi changee ce vers dans son edition de 1764 :
    Et vous vois maintenant comme un ancien ami.
  3. Dans la piece du Trissin, c’est Scipion qui s’exprime ainsi :
    Levateli dattorno le catene,
    E menatelo al nostro allogiamento,
    Nè stia come prigion, ma come amigo.
    — Voyez l’Appendice II, p. 555.
  4. « Si les deux partis avoient, en immolant des victimes, cherché à obtenir la protection des dieux immortels, tous deux avoient également recherché l’amitié de Syphax. » Sicut ab diis immortalibus pars utraque hostiis mactandis pacem petisset, ita ab eo utrique pariter amicitiam petitam. (Tite Live, livre XXX, chapitre xiii.)