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SOPHONISBE.

Et n’est-ce point, Seigneur, vous y prendre un peu mal,
Que d’en faire l’épreuve en gendre d’Asdrubal[1] ?
Je sais que les Romains vous rendront la couronne,
870Vous en avez parole, et leur parole est bonne :
Ils vous nommeront roi ; mais vous devez savoir
Qu’ils sont plus libéraux du nom que du pouvoir ;
Et que sous leur appui ce plein droit de tout faire
N’est que pour qui ne veut que ce qui doit leur plaire.
875Vous verrez qu’ils auront pour vous trop d’amitié
Pour vous laisser méprendre au choix d’une moitié.
Ils ont pris trop de part en votre destinée
Pour ne pas l’affranchir d’un pareil hyménée ;
Et ne se croiroient pas assez de vos amis,
880S’ils n’en désavouoient les Dieux qui l’ont permis.

MASSINISSE.

Je m’en dédis, Madame ; et s’il vous est facile
De garder dans ma perte un cœur vraiment tranquille,
Du moins votre grande âme avec tous ses efforts
N’en conserve pas bien les fastueux dehors.
885Lorsque vous étouffez l’injure et la menace,
Vos illustres froideurs laissent rompre leur glace ;
Et cette fermeté de sentiments contraints
S’échappe adroitement du côté des Romains.
Si tant de retenue a pour vous quelque gêne,
890Allez jusqu’en leur camp solliciter leur haine ;
Traitez-y mon hymen de lâche et noir forfait ;
N’épargnez point les pleurs pour en rompre l’effet ;
Nommez-y-moi cent fois ingrat, parjure, traître :
J’ai mes raisons pour eux, et je les dois connoître.

ÉRYXE.

895Je les connois, Seigneur, sans doute moins que vous,
Et les connois assez pour craindre leur courroux.

  1. Voyez ci-dessus, p. 465, et la note 3.