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Mais comme en mon malheur ce favorable office
En vouloit à mon sceptre, et non à Massinisse,
Vous pouvez sans chagrin, dans mes destins meilleurs,
840Voir mon sceptre en vos mains, et Massinisse ailleurs.
Prenez ce sceptre aimé pour l’attacher au vôtre ;
Ma main tant refusée est bonne pour une autre ;
Et son ambition a de quoi s’arrêter
En celui de Syphax qu’elle vient d’emporter.
845––Si vous m’aviez aimé, vous n’auriez pas eu honte
D’en montrer une estime et plus haute et plus prompte,
Ni craint de ravaler l’honneur de votre rang
Pour trop considérer le mérite et le sang.
La naissance suffit quand la personne est chère :
850Un prince détrôné garde son caractère ;
Mais à vos yeux charmés par de plus forts appas,
Ce n’est point être roi que de ne régner pas.
Vous en vouliez en moi l’effet comme le titre ;
Et quand de votre amour la fortune est l’arbitre,
855Le mien, au-dessus d’elle et de tous ses revers,
Reconnoît son objet dans les pleurs, dans les fers.
Après m’être fait roi pour plaire à votre envie,
Aux dépens de mon sang, aux périls de ma vie,
Mon sceptre reconquis me met en liberté
860De vous laisser un bien que j’ai trop acheté ;
Et ce seroit trahir les droits du diadème,
Que sur le haut d’un trône être esclave moi-même.
Un roi doit pouvoir tout ; et je ne suis pas roi,
S’il ne m’est pas permis de disposer de moi.

Éryxe
865Il est beau de trancher du roi comme vous faites ;
Mais n’a-t-on aucun lieu de douter si vous l’êtes ?