Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
ACTE II, SCENE I.

390Je me dois cette joie après de tels mépris ;
Et mes ardents souhaits de voir punir son change
Assurent ma conquête à quiconque me venge[1].
Suivez le mouvement d’un si juste courroux,
Et sans perdre de vœux obtenez-moi de vous.
395Pour gagner mon amour il faut servir ma haine :
À ce prix est le sceptre, à ce prix une reine ;
Et Grimoald puni rendra digne de moi
Quiconque ose m’aimer, ou se veut faire roi.

GARIBALDE.

Mettre à ce prix vos feux et votre diadème,
400C’est ne connoître pas votre haine et vous-même ;
Et qui, sous cet espoir, voudroit vous obéir,
Chercheroit les moyens de se faire haïr.
Grimoald inconstant n’a plus pour vous de charmes,
Mais Grimoald puni vous coûteroit des larmes.
405À cet objet sanglant, l’effort de la pitié
Reprendroit tous les droits d’une vieille amitié
Et son crime en son sang éteint avec sa vie
Passeroit en celui qui vous aurait servie.
Quels que soient ses mépris, peignez-vous bien sa mort,
410Madame, et votre cœur n’en sera pas d’accord.
Quoi qu’un amant volage excite de colère,
Son change est odieux, mais sa personne est chère ;
Et ce qu’a joint l’amour a beau se désunir,
Pour le rejoindre mieux il ne faut qu’un soupir.
415Ainsi n’espérez pas que jamais on s’assure

  1. Var. Je n’en fais point secret après tant de mépris,
    Je l’ai dit à ce traître, et je vous le redis :
    Je ne suis plus à moi, je suis à qui me venge,
    Et ma conquête est libre au bras le plus étrange. (1653-56)