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Ce qu’à leur entrevue a produit la présence.

Barcée
Elle a produit sans doute un effet de pitié,
470Où se mêle peut-être une ombre d’amitié.
Vous savez qu’un cœur noble et vraiment magnanime,
Quand il bannit l’amour, aime à garder l’estime ;
Et que bien qu’offensé par le choix d’un mari,
Il n’insulte jamais à ce qu’il a chéri.
475Mais quand bien vous auriez tout lieu de vous en plaindre,
Sophonisbe, après tout, n’est point pour vous à craindre :
Eût-elle tout son cœur, elle l’auroit en vain,
Puisqu’elle est hors d’état de recevoir sa main.
Il vous la doit, Madame.

Éryxe
Il vous la doit, Madame.Il me la doit, Barcée ;
480Mais que sert une main par le devoir forcée ?
Et qu’en auroit le don pour moi de précieux,
S’il faut que son esclave ait son cœur à mes yeux ?
––Je sais bien que des rois la fière destinée
Souffre peu que l’amour règle leur hyménée,
485Et que leur union souvent, pour leur malheur,
N’est que du sceptre au sceptre, et non du cœur au cœur ;
Mais je suis au-dessus de cette erreur commune :
J’aime en lui sa personne autant que sa fortune ;
Et je n’en exigeai qu’il reprît ses États
490Que de peur que mon peuple en fît trop peu de cas.
Des actions des rois ce téméraire arbitre
Dédaigne insolemment ceux qui n’ont que le titre.
Jamais d’un roi sans trône il n’eût souffert la loi,
Et ce mépris peut-être eût passé jusqu’à moi.
495Il falloit qu’il lui vît sa couronne à la tête,
Et que ma main devînt sa dernière conquête,
Si nous voulions régner avec l’autorité
Que le juste respect doit à la dignité.
––