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SOPHONISBE.

Ou si le temps a pu vous naturaliser[1],
Le même cours du temps les peut favoriser.
J’ose vous dire plus : si le destin s’obstine
220À vouloir qu’en ces lieux leur victoire domine,
Comme vos Tyriens passent pour Africains,
Au milieu de l’Afrique il naîtra des Romains ;
Et si de ce qu’on voit nous croyons le présage,
Il en pourra bien naître au milieu de Carthage
225Pour qui notre amitié n’aura rien de honteux,
Et qui sauront passer pour Africains comme eux.

SOPHONISBE.

Vous parlez un peu haut.

ÉRYXE.

Vous parlez un peu haut.Je suis amante et reine.

SOPHONISBE.

Et captive, de plus.

ÉRYXE.

Et captive, de plus.On va briser ma chaîne ;
Et la captivité ne peut abattre un cœur
230Qui se voit assuré de celui du vainqueur :
Il est tel dans vos fers que sous mon diadème.
N’outragez plus ce prince, il a ma foi, je l’aime ;
J’ai la sienne, et j’en sais soutenir l’intérêt.
Du reste, si la paix vous plaît, ou vous déplaît,
235Ce n’est pas mon dessein d’en pénétrer la cause :
La bataille et la paix sont pour moi même chose.
L’une ou l’autre aujourd’hui finira mes ennuis ;
Mais l’une vous peut mettre en l’état où je suis.

SOPHONISBE.

Je pardonne au chagrin d’un si long esclavage,

  1. Thomas Corneille (1692) et après lui Voltaire (1764) donnent ici : « nous naturaliser, » et au vers 221 : « nos Tyriens, » Notre texte est celui de toutes les éditions publiées du vivant de l’auteur, et c’est bien celui que le sens demande.