Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

GRIMOALD.

Si vous étiez, Madame, au milieu de Pavie,
Dont vous fit reine un frère en sortant de la vie,
Ce discours, quoique même un peu hors de saison,
310Pourroit avoir du moins quelque ombre de raison.
Mais ici, dans Milan, dont j’ai fait ma conquête,
Où ma seule valeur a couronné ma tête,
Au milieu d’un État où tout le peuple à moi
Ne sauroit craindre en vous que l’amour de son roi,
315La menace impuissante est de mauvaise grâce :
Avec tant de foiblesse il faut la voix plus basse.
J’y règne, et régnerai malgré votre courroux ;
J’y fais à tous justice, et commence par vous.

ÉDÜIGE.

Par moi ?

GRIMOALD.

Par moi ?Par vous, Madame.

ÉDÜIGE.

Par moi ?Par vous, Madame.Après la foi reçue !
320Après deux ans d’amour si lâchement déçue !

GRIMOALD.

Dites après deux ans de haine et de mépris,
Qui de toute ma flamme ont été le seul prix.

ÉDÜIGE.

Appelles-tu mépris une amitié sincère ?

GRIMOALD.

Une amitié fidèle à la haine d’un frère,
325Un long orgueil armé d’un frivole serment,
Pour s’opposer sans cesse au bonheur d’un amant.
Si vous m’aviez aimé, vous n’auriez pas eu honte
D’attacher votre sort à la valeur d’un comte.
Jusqu’à ce qu’il fût roi vous plaire à le gêner,
330C’étoit vouloir vous vendre, et non pas vous donner.
Je me suis donc fait roi pour plaire à votre envie :