Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et quand il sera temps nous en verrons l’effet.
épouse-la, parjure, et fais-en une infâme :
280Qui ravit un État peut ravir une femme ;
L’adultère et le rapt sont du droit des tyrans.

GRIMOALD.

Vous me donniez jadis des titres différents.
Quand pour vous acquérir je gagnois des batailles,
Que mon bras de Milan foudroyoit les murailles,
285Que je semois partout la terreur et l’effroi,
J’étois un grand héros, j’étois un digne roi ;
Mais depuis que je règne en prince magnanime,
Qui chérit la vertu, qui sait punir le crime,
Que le peuple sous moi voit ses destins meilleurs,
290Je ne suis qu’un tyran, parce que j’aime ailleurs.
Ce n’est plus la valeur, ce n’est plus la naissance
Qui donne quelque droit à la toute-puissance :
C’est votre amour lui seul qui fait des conquérants,
Suivant qu’ils sont à vous, des rois ou des tyrans.
295Si ce titre odieux s’acquiert à vous déplaire,
Je n’ai qu’à vous aimer, si je veux m’en défaire ;
Et ce même moment, de lâche usurpateur,
Me fera vrai monarque en vous rendant mon cœur.

ÉDÜIGE.

Ne prétends plus au mien après ta perfidie.
300J’ai mis entre tes mains toute la Lombardie ;
Mais ne t’aveugle point dans ton nouveau souci[1] :
Ce n’est que sous mon nom que tu règnes ici,
Et le peuple bientôt montrera par sa haine
Qu’il n’adoroit en toi que l’amant de sa reine,
305Qu’il ne respectoit qu’elle, et ne veut point d’un roi
Qui commence par elle à violer sa foi.

  1. Var. Mais ne t’aveugle point dans ton ambition :
    Si tu règnes ici, ce n’est que sous mon nom. (1653-56)