Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
437
ACTE V, SCÈNE IV.

J’ai même entre mes mains un assez bon otage,
Pour faire mes traités avec quelque avantage.
Cependant vous pourriez, pour votre heur et le mien,
Ne parler pas si haut à qui ne vous dit rien.1740
Ces menaces en l’air vous donnent trop de peine.
Après ce que j’ai fait, laissez faire la Reine ;
Et sans blâmer des vœux qui ne vont point à vous,
Songez à regagner le cœur de votre époux.

Viriate.

Oui, Madame, en effet c’est à moi de répondre, 1745
Et mon silence ingrat a droit de me confondre.
Ce généreux exploit, ces nobles sentiments
Méritent de ma part de hauts remercîments :
Les différer encor, c’est lui faire injustice.
Il m’a rendu sans doute un signalé service ;1750
Mais il n’en sait encor la grandeur qu’à demi :
Le grand Sertorius fut son parfait ami.
Apprenez-le, Seigneur (car je me persuade
Que nous devons ce titre à votre nouveau grade[1] ;
Et pour le peu de temps qu’il pourra vous durer,1755
Il me coûtera peu de vous le déférer) :
Sachez donc que pour vous il osa me déplaire,
Ce héros ; qu’il osa mériter ma colère ;
Que malgré son amour, que malgré mon courroux[2],
Il a fait tous efforts pour me donner à vous ;1760
Et qu’à moins qu’il vous plût lui rendre sa parole,
Tout mon dessein n’étoit qu’une atteinte[3] frivole ;

  1. Dans l’édition de 1662 : « à notre nouveau grade, » mais c’est certainement encore une faute.
  2. Les editions de 1682 et 1692, que Voltaire a suivies, portent, par erreur, son courroux. Au vers suivant, Thomas Corneille (1692) et Voltaire (1764) ont changé « tous efforts » en « ses efforts. »
  3. Atteinte est le texte de 1682, de 1692, de Voltaire dans sa première édition (1764), aussi bien que dans la seconde (1774). L’impression originale (1662) et celle de 1668 donnent attente. Il nous semble que les deux leçons peuvent se défendre.