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ACTE IV, SCÈNE I.

Et de quoi s’inquiète un cœur qui la méprise ?

Sertorius.

N’appelez point mépris un violent respect1175
Que sur mes plus doux vœux fait régner son aspect.

Thamire.

Il est peu de respects qui ressemblent au vôtre,
S’il ne sait que trouver des raisons pour un autre ;
Et je préférerois un peu d’emportement
Aux plus humbles devoirs d’un tel accablement.1180

Sertorius.

Il n’en est rien parti capable de me nuire,
Qu’un soupir échappé ne dût soudain détruire ;
Mais la Reine, sensible à de nouveaux désirs,
Entendoit mes raisons, et non pas mes soupirs.

Thamire.

Seigneur, quand un Romain, quand un héros soupire, 1185
Nous n’entendons pas bien ce qu’un soupir veut dire ;
Et je vous servirois de meilleur truchement,
Si vous vous expliquiez un peu plus clairement.
Je sais qu’en ce climat, que vous nommez barbare,
L’amour, par un soupir quelquefois se déclare ;1190
Mais la gloire, qui fait toutes vos passions,
Vous met trop au-dessus de ces impressions :
De tels désirs, trop bas pour les grands cœurs de Rome…

Sertorius.

Ah ! Pour être romain, je n’en suis pas moins homme[1] :

  1. Ce vers a évidemment donné lieu à celui de Tartuffe, qui dit à Elmire (acte III, scène iii :
    Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme.
    On l’a contesté ; on a cité ce passage d’un conte de Boccace* : Come che io sia abbate, io son uomo come gli altri. Que notre grand comique se soit rappelé ces mots de Boccace, cela est possible ; mais il est difficile de croire que le vers de Corneille ne fût pas présent aussi à sa pensée ; ce vers devait être remarqué, il devait produire un grand effet au théâtre, et ce n’est sans doute point par un pur hasard que Molière l’a répété à cinq ans de distance.
    *. Décaméron, huitième nouvelle de la troisième journée.