Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

RODELINDE.

155N’abusez point d’un nom que votre orgueil rejette.
Si vous étiez ma sœur, vous seriez ma sujette ;
Mais un sceptre vaut mieux que les titres du sang,
Et la nature cède à la splendeur du rang.

ÉDÜIGE.

La nouvelle vous fâche, et du moins importune
160L’espoir déjà formé d’une bonne fortune.
Consolez-vous, Madame : il peut n’en être rien ;
Et souvent on nous dit ce qu’on ne sait pas bien.

RODELINDE.

Il sait mal ce qu’il dit, quiconque vous fait croire
Qu’aux feux de Grimoald je trouve quelque gloire.
165Il est vaillant, il règne, et comme il faut régner ;
Mais toutes ses vertus me le font dédaigner.
Je hais dans sa valeur l’effort qui le couronne ;
Je hais dans sa bonté les cœurs qu’elle lui donne ;
Je hais dans sa prudence un grand peuple charmé ;
170Je hais dans sa justice un tyran trop aimé ;
Je hais ce grand secret d’assurer sa conquête,
D’attacher fortement ma couronne à sa tête ;
Et le hais d’autant plus que je vois moins de jour
À détruire un vainqueur qui règne avec amour.

ÉDÜIGE.

175Cette haine qu’en vous sa vertu même excite
Est fort ingénieuse à voir tout son mérite ;
Et qui nous parle ainsi d’un objet odieux
En diroit bien du mal s’il plaisoit à ses yeux.

RODELINDE.

Qui hait brutalement permet tout à sa haine :
180Il s’emporte, il se jette où sa fureur l’entraîne,
Il ne veut avoir d’yeux que pour ses faux portraits ;
Mais qui hait par devoir ne s’aveugle jamais :
C’est sa raison qui hait, qui toujours équitable,