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ACTE III, SCÈNE III.

Que l’amour enracine au cœur des vrais amants ;
Repasse mes bontés et tes ingratitudes ; 1160
Joins-y, si tu le peux, des coups encor plus rudes :
Ce sera m’obliger, ce sera m’obéir.
Je te devrai beaucoup, si je te puis haïr,
Et si de tes forfaits la peinture étendue
Ne laisse plus flotter ma haine suspendue. 1165

Jason.

Que dirai-je, après tout, que ce que vous savez ?
Madame, rendez-vous ce que vous vous devez.
Il n’est pas glorieux pour une grande reine
De montrer de l’amour, et de voir de la haine ;
Et le sexe et le rang se doivent souvenir 1170
Qu’il leur sied bien d’attendre, et non de prévenir ;
Et que c’est profaner la dignité suprême
Que de lui laisser dire : « On me trahit, et j’aime. »

Hypsipyle.

Je le puis dire, ingrat, sans blesser mon devoir :
C’est mon époux en toi que le ciel me fait voir, 1175
Du moins si la parole et reçue et donnée
A des nœuds assez forts pour faire un hyménée.
Ressouviens-t’en, volage, et des chastes douceurs
Qu’un mutuel amour répandit dans nos cœurs.
Je te laissai partir afin que ta conquête 1180
Remît sous mon empire une plus digne tête,
Et qu’une reine eût droit d’honorer de son choix
Un héros que son bras eût fait égal aux rois.
J’attendois ton retour pour pouvoir avec gloire
Récompenser ta flamme et payer ta victoire ; 1185
Et quand jusques ici je t’apporte ma foi,
Je trouve en arrivant que tu n’es plus à moi !
Hélas ! je ne craignois que tes beautés de Grèce ;
Et je vois qu’une Scythe a rompu ta promesse,
Et qu’un climat barbare a des traits assez doux 1190