Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous présumer perdu sur la foi d’un scrupule 1040
Qu’embrasse aveuglément votre âme trop crédule,
Comme si sur la peau d’un chétif animal
Le ciel avoit écrit tout votre sort fatal !
Ce que l’ombre a prédit, si vous daignez l’entendre,
Ne met aucun obstacle aux prières d’un gendre. 1045
Me donner la Princesse, et pour dot la toison,
Ce n’est que l’assurer dedans votre maison,
Puisque par les doux nœuds de ce bonheur suprême
Je deviendrai soudain une part de vous-même,
Et que ce même bras qui vous a pu sauver 1050
Sera toujours armé pour vous la conserver.

Aæte.

Vous prenez un peu tard une mauvaise adresse :
Nos esprits sont plus lourds que ceux de votre Grèce ;
Mais j’ai d’assez bons yeux, dans un si juste effroi,
Pour démêler sans peine un gendre d’avec moi. 1055
Je sais que l’union d’un époux à ma fille
De mon sang et du sien forme une autre famille,
Et que si de moi-même elle fait quelque part,
Cette part de moi-même a ses destins à part.
Ce que l’ombre a prédit se fait assez entendre. 1060
Cessez de vous forcer à devenir mon gendre ;
Ce seroit un honneur qui ne vous plairoit pas,
Puisque la toison seule a pour vous des appas,
Et que si mon malheur vous l’avoit accordée,
Vous n’auriez jamais fait aucuns vœux pour Médée. 1065

Jason.

C’est faire trop d’outrage à mon cœur enflammé.
Dès l’abord je la vis, dès l’abord je l’aimai ;
Et mon amour n’est pas un amour politique
Que le besoin colore, et que la crainte explique.
Mais n’ayant que moi-même à vous parler pour moi, 1070
Je n’osois espérer d’être écouté d’un roi,