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Jason.

Ah ! Vous en soupirez ! Un reste de tendresse
M’échappe encore au nom d’une belle princesse ; 685
Mais comme assez souvent la distance des lieux
Affoiblit dans le cœur ce qu’elle cache aux yeux,
Les charmes de Médée ont aisément la gloire
D’abattre dans le mien l’effet de sa mémoire.

Junon.

Peut-être elle n’est pas si loin que vous pensez. 690
Ses vœux de vous attendre enfin se sont lassés,
Et n’ont pu résister à cette impatience
Dont tous les vrais amants ont trop d’expérience.
L’ardeur de vous revoir l’a hasardée aux flots ;
Elle a pris après vous la route de Colchos ; 695
Et moi, pour empêcher que sa flamme importune
Ne rompît sur ces bords toute votre fortune,
J’ai soulevé les vents, qui brisant son vaisseau,
Dans les flots mutinés ont ouvert son tombeau.

Jason.

Hélas !

Junon.

Hélas ! N’en craignez point une funeste issue : 700
Dans son propre palais Neptune l’a reçue.
Comme il craint pour Pélie, à qui votre retour
Doit coûter la couronne, et peut-être le jour,
Il va tâcher d’y mettre un obstacle par elle,
Et vous la renvoira, plus pompeuse et plus belle, 705
Rattacher votre cœur à des liens si doux,
Ou du moins exciter des sentiments jaloux
Qui vous rendent Médée à tel point inflexible,
Que le pouvoir du charme en demeure invincible,
Et que vous périssiez en le voulant forcer, 710
Ou qu’à votre conquête il faille renoncer.
Dès son premier abord une soudaine flamme