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Que vous voyez la fleur des princes de la Grèce,
Qui vous demandent tous d’une commune voix
Un trésor qui jadis fut celui de ses rois : 480
La toison d’or, Seigneur, que Phryxus, votre gendre,
Phryxus, notre parent…

Aæte.

Phryxus, notre parent… Ah ! que viens-je d’entendre !

Médée.

Ah ! perfide.

Jason.

Ah ! perfide. À ce mot vous paroissez surpris !
Notre peu de secours se met à trop haut prix ;
Mais enfin, je l’avoue, un si précieux gage 485
Est l’unique motif de tout notre voyage.
Telle est la dure loi que nous font nos tyrans,
Que lui seul nous peut rendre au sein de nos parents ;
Et telle est leur rigueur, que, dans cette conquête
Le retour au pays nous coûteroit la tête. 490

Aæte.

Ah ! si vous ne pouvez y rentrer autrement,
Dure, dure à jamais votre bannissement !
Princes[1] tel est mon sort, que la toison ravie
Me doit coûter le sceptre, et peut-être la vie.
De sa perte dépend celle de tout l’État ; 495
En former un désir, c’est faire un attentat ;
Et si jusqu’à l’effet vous pouvez le réduire,
Vous ne m’avez sauvé[2] que pour mieux me détruire.

Jason.

Qui vous l’a dit. Seigneur ? quel tyrannique effroi
Fait cette illusion aux destins d’un grand roi ? 500

Aæte.

Votre Phryxus lui-même a servi d’interprète

  1. Il y a Prince au singulier, dans l’édition de Voltaire. (1764)
  2. Dans l’édition de 1692 : « Vous ne m’aurez sauvé. »