Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/24

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estes tres-chrestien et ami de pieté, bien que je peusse viure entre les payens, neantmoins, me confiant en vostre douceur et debonnaireté, me suis venu rendre à vos pieds. » Lors Grimoald, vsant de ses sermens accoustumez, luy promit, disant : « Par celuy qui m’a fait naistre, puis que vous auez recours à ma foy, vous ne souffrirez mal aucun en chose qui soit, et donneray ordre que vous pourrez honnestement viure. » Ce dit, luy ayant fait donner vn bon logis, commanda qu’il fust entretenu selon sa qualité, et que toutes choses à luy necessaires lui fussent abondamment baillées. Or comme Pertharite eut prins congé du Roy, et se fut retiré en son logis, aduint que soudain les citoyens de Pauie à grandes trouppes accoururent pour le voir et saluer, comme l’ayans auparauant cognu et honoré. Mais voicy de combien peut nuire vne mauuaise langue. Quelques flateurs et malins, ayans prins garde aux caresses faites par le peuple à Pertharite, vindrent trouuer Grimoald, et luy firent entendre que si bien-tost il ne faisoit tuer Pertharite, il estoit en bransle de perdre le royaume et la vie, luy asseurans qu’à cette fin tous ceux de la ville luy faisoyent la cour. Grimoald, homme facile à croire, et bien souuent trop de leger[1], s’estonna aucunement, et atteint de deffiance, ayant mis en oubly sa promesse, s’enflamma[2] subitement de colere, et deslors iura la mort de l’innocent Pertharite, commençant à prendre aduis en soy par quel moyen et en quelle sorte il luy pourroit le lendemain oster la vie, pour ce que lors estoit trop tard ; et à ce soir luy enuoya diuerses sortes de viandes et vins des plus friands en grande abondance pour le faire enyurer, afin que par trop boire et manger, et

  1. De léger, légèrement, facilement.
  2. Il y a s’enflamba dans du Verdier (1580).