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ACTE V, SCÈNE V.

Et cette ambition que me prêtoit l’amour
Ne cherchoit qu’à régner dans un autre séjour.
1805Cent fois de mon orgueil l’éclat le plus farouche
Aux termes odieux a refusé ma bouche :
Pour vous nommer tyran il fallait cent efforts ;
Ce mot ne m’a jamais échappé sans remords.
D’un sang respectueux la puissance inconnue
1810À mes soulèvements mêloit la retenue ;
Et cet usurpateur dont j’abhorrais la loi,
S’il m’eût donné Thésée, eût eu le nom de roi.

Œdipe.

C’était ce même sang dont la pitié secrète
De l’ombre de Laïus me faisoit l’interprète.
1815Il ne pouvoit souffrir qu’un mot mal entendu
Détournât sur ma sœur un sort qui m’étoit dû,
Et que votre innocence immolée à mon crime
Se fît de nos malheurs l’inutile victime.

Dircé.

Quel crime avez-vous fait que d’être malheureux ?

Œdipe.

1820Mon souvenir n’est plein que d’exploits généreux ;
Cependant je me trouve inceste et parricide,
Sans avoir fait un pas que sur les pas d’Alcide,
Ni recherché partout que lois à maintenir,
Que monstres à détruire et méchants à punir.
1825Aux crimes malgré moi l’ordre du ciel m’attache :
Pour m’y faire tomber à moi-même il me cache[1] ;
Il offre, en m’aveuglant sur ce qu’il a prédit,
Mon père à mon épée, et ma mère à mon lit.
Hélas ! Qu’il est bien vrai qu’en vain on s’imagine
1830Dérober notre vie à ce qu’il nous destine !
Les soins de l’éviter font courir au-devant,

  1. L’édition de 1692 porte, mais par erreur sans aucun doute : « à moi-même il se cache. »