Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Scène III

.
JOCASTE, THÉSÉE, PHORBAS, NÉRINE.
Jocaste.

1365Laissez-moi lui parler, et prêtez-nous silence.
Phorbas, envisagez ce prince en ma présence :
Le reconnaissez-vous[1] ?

Phorbas.

Le reconnaissez-vous ?Je crois vous avoir dit
Que je ne l’ai point vu depuis qu’on le perdit,
Madame : un si long temps laisse mal reconnoître
1370Un prince qui pour lors ne faisoit que de naître ;
Et si je vois en lui l’effet de mon secours,
Je n’y puis voir les traits d’un enfant de deux jours.

Jocaste.

Je sais, ainsi que vous, que les traits de l’enfance
N’ont avec ceux d’un homme aucune ressemblance ;
1375Mais comme ce héros, s’il est sorti de moi,
Doit avoir de sa main versé le sang du Roi,
Seize ans n’ont pas changé tellement son visage
Que vous n’en conserviez quelque imparfaite image.

Phorbas.

Hélas ! J’en garde encor si bien le souvenir,
1380Que je l’aurai présent durant tout l’avenir.
Si pour connoître un fils il vous faut cette marque,
Ce prince n’est point né de notre grand monarque.
Mais désabusez-vous, et sachez que sa mort
Ne fut jamais d’un fils le parricide effort.

Jocaste.

1385Et de qui donc, Phorbas ? Avez-vous connoissance

  1. Var. [Le reconnaissez-vous ?] phorb. Quoi ? huit lustres après,
    Je pourrois d’un enfant reconnoître les traits ?
    [joc. Je sais, ainsi que vous, que les traits de l’enfance.] (1659)