Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
ACTE III, SCÈNE II.

850C’est trop nous asservir ces majestés suprêmes.

Jocaste.

Ma fille, il est toujours assez tôt de mourir.

Dircé.

Madame, il n’est jamais trop tôt de secourir ;
Et pour un mal si grand qui réclame notre aide,
Il n’est point de trop sûr ni de trop prompt remède.
855Plus nous le différons, plus ce mal devient grand[1].
J’assassine tous ceux que la peste surprend ;
Aucun n’en peut mourir qui ne me laisse un crime :
Je viens d’étouffer seule et Sostrate et Phædime ;
Et durant ce refus des remèdes offerts,
860La Parque se prévaut des moments que je perds.
Hélas ! Si sa fureur dans ces pertes[2] publiques
Enveloppait Thésée après ses domestiques !
Si nos retardements…

Jocaste.

Si nos retardements…Vivez pour lui, Dircé :
Ne lui dérobez point un cœur si bien placé.
865Avec tant de courage ayez quelque tendresse ;
Agissez en amante aussi bien qu’en princesse.
Vous avez liberté toute entière en ces lieux :
Le Roi n’y prend pas garde, et je ferme les yeux.
C’est vous en dire assez : l’amour est un doux maître ;
870Et quand son choix est beau, son ardeur doit paroître[3].

Dircé.

Je n’ose demander si de pareils avis
Portent des sentiments que vous ayez suivis.
Votre second hymen put avoir d’autres causes ;
Mais j’oserai vous dire, à bien juger des choses,

  1. Dans l’édition de 1692, que Voltaire (1764) a suivi :
    Plus nous le différons, plus le mal devient grand.
  2. L’édition de 1692 donne pestes, au lieu de pertes. Voltaire a conservé pertes.
  3. Var. Et quand son choix est beau, son ardeur peut paroître. (1659)